Dar Saïda : Le café littéraire hommage à Saïda Menebhi

Dar Saïda est un espace culturel et un café littéraire situé dans le quartier de Semlalia à Marrakech. En encourageant le débat, la littérature et l’échange, Dar Saïda rend hommage à Saïda Menebhi, militante et poétesse, symbole du combat pour la liberté, le progrès et les droits des femmes.

La bibliothèque de Dar Saïda est entièrement dédiée à la liberté et aux droits des femmes, la salle de conférence, lieu de débat et de discussion, accueille des dizaines de conférences gratuites par an, et le café, véritable lieu de vie, offre un espace d’échange et de rencontre pour une jeunesse en quête de liberté et de sens.

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MarouaN, le neveu de Saïda Menebhi, gère aujourd’hui Dar Saïda aux côtés de ses parents qui en ont fait unE véritable AVENTURE FAMILIALe. Il a accepté de répondre à nos questions.

- Comment t'es tu retrouvé à gérer un café littéraire à Marrakech ? 

Je suis le produit de ce qu'on appelle les parcours accidentés. J'ai eu un lycée très moyen pour ne pas dire mauvais, j'ai fait un an à Reims en médecine, ça n'a pas marché du coup je suis rentré préparer le concours de médecine ici.
Je l'ai eu et j'ai fait 5 ans à la faculté de médecine de rabat avant de complètement craquer. J'étais très mal à l'aise à l'hôpital, ce qui est problématique pour un futur médecin. À ce moment là, je laisse tout tomber pour aller à Paris faire du journalisme. J'ai passé presque 4 années là bas, avec des bons et des mauvais moments, et surtout beaucoup d'expériences. 
Un jour à Paris, je reçois un coup de fil de mes parents qui me disent écoute c'est bon, on a décidé de se lancer et d'ouvrir le centre culturel en hommage à ta tante. Suite à ce coup de fil je suis très heureux pour eux mais je n'imagine pas une seconde mon futur là dedans. 
C'est 5 mois plus tard, en plein burn-out parisien que mes parents me proposent de venir 1 mois au Maroc, surveiller un peu la fin du chantier de Dar Saïda. Je ne suis jamais reparti.

Aujourd'hui je dirige ce centre depuis 3 ans et demi, et je suis lauréat du ILVP Program de l'ambassade des USA qui m'a sélectionné parmi les 11 jeunes entrepreneurs prometteurs de la région MENA.

- Dar Saïda porte en elle l'histoire de Saïda Menebhi, raconte nous la genèse du projet ?

C'est un projet qui a été rêvé, et qui a mûri pendant très longtemps au sein de ma famille. Saïda Menebhi est la grande soeur de ma maman. Ma grande soeur que j'adore, se prénomme Saïda, en hommage à ma tante.
Nous avons été éduqué dans le respect de la mémoire de cette tante qui a donné sa vie pour son combat. Une bataille pour un Maroc équitable où tout le monde a sa place et où chacun vit dans la dignité. 
Nous en sommes encore bien loin. 

J'ai vu mes parents ne jamais abandonner, travailler d'arrache-pied au détriment de leur santé et économiser pendant une vie entière afin d'ouvrir ce centre pour que jamais personne n'oublie Saïda, la martyre.

- Quelle est la vocation de Dar Saida ?

Dar Saïda a pour but de transmettre la mémoire et l'âme de Saïda Menebhi à la nouvelle génération. 
Cela implique un accès pour tous à la culture, et c'est pour cela que nous avons organisé plus de 100 conférences gratuites en 3 ans d'existence. 
Parmi ces conférences, 50% traitent au moins un aspect du droit des femmes marocaines, encore une fois pour rester dans l'esprit de Saïda Menebhi. Notre espace librairie est d'ailleurs l'unique librairie bilingue 100% féministe du Maroc. Tous nos ouvrages sont sur les droits des femmes et pour ne pas en faire trop avec les chiffres, disons qu'on en a beaucoup.
En dehors des conférences nous collaborons avec des individualités et des associations qui nous aident à entretenir des clubs : de lecture, de théâtre, de cinéma et d'astronomie qui sont réguliers et gratuits. 

- L'économie de la culture est difficile au Maroc où la gratuité prédomine, comment vois-tu les choses en terme d'équilibre financier et de pérennité ? 

En effet et surtout quand je présente mon centre ainsi, la première question qui arrive est : comment survivez vous si tout est gratuit ? C'est une très bonne question et la réponse la plus honnête est : difficilement.
Nous sources de revenus essentielles sont le café au sein du centre et la salle d'étude où les jeunes étudiants viennent préparer leurs examens, ainsi que la location de notre salle de conférence pour des entreprises qui veulent organiser des séminaires et rencontres à Marrakech. 
J'ai également récemment lancé un incubateur, le S Hub, pour diversifier nos entrées et donner encore plus de stabilité financière à l'établissement.
Contrairement à Starbucks, à qui on pardonne toutes les largesses, je reçois parfois des plaintes sur le prix du café (20 dhs). Mais j'essaie toujours d'expliquer calmement qu'en payant cet argent, ils contribuent à l'activité culturelle de la ville. 100 cafés vendus c'est un costume pour notre troupe de théâtre. Tout a son importance.

Après 2 ans de déficit mais avec une progression linéaire nous avons effectué une troisième année à l'équilibre et j'en suis très fier. Nous avons bâti des fondations solides pour l'avenir. 

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“Je n'ai reculé devant rien pour faire marcher des conférences quand j'ai débuté. je suis même allé jusqu'à investir dans des buffets uniquement pour essayer d'intéresser les pique-assiette à Spinoza.”


- La médiation culturelle est un enjeu essentiel pour les espaces culturels : expliquer les règles de bonne conduite, rapprocher la programmation d'un public non averti, créer une relation de bienveillance et de respect mutuels, quel est ton sentiment sur ce point après plusieurs mois d'exploitation ? 

La médiation culturelle est la chose qui je pense est l'aspect le plus difficile du métier, et de très loin. 
D'abord il est très difficile d'attirer un public non habitué à des activités culturelles et pour cela nous usons de toutes sortes de stratagèmes. 
Par exemple si j'ai une conférence sur la liberté de la presse, je vais inviter un musicien juste avant. Le divertissement attire le public et nous exploitons ce temps d'attention pour essayer de leur faire découvrir les conférences, l'échange et la réflexion commune. 
Honnêtement, je n'ai reculé devant rien pour faire marcher des conférences quand j'ai débuté, je suis même allé jusqu'à investir dans des buffets uniquement pour essayer d'intéresser les pique-assiette à Spinoza.
Je fais moins ce genre de choses maintenant car nous avons plus d'aura et une communauté fidèle à Marrakech, mais il a fallu travailler très dur avant d'y arriver.
Concernant la bienveillance et le respect mutuel, nous avons eu une seule période trouble en 3 ans, il y a quelques semaines. En général les gens se respectent beaucoup, tous les usagers de l'établissement me connaissent personnellement et l'ambiance est très conviviale.
Je suis un manager de 28 ans, j'ai une relation de proximité forte avec mon équipe et cette absence de hiérarchie militaire que l'on voit d'habitude plaît également aux clients.

 
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Le divertissement attire le public et nous exploitons ce temps d'attention pour essayer de leur faire découvrir d’autres choses.

 

- Tu as récemment été confronté à des problèmes de violence au sein de Dar Saida qui t'ont amené à prendre des décisions fermes, peux-tu nous en parler davantage ?

Oui, je pensais que ça n'arriverait jamais mais nous avons été victimes de notre succès.
Les lycéens de Marrakech ont découvert Dar Saïda il y a quelques mois et ils ont été comment dire... moins studieux que leurs camarades étudiants à l'université. 
Nous étions en surcapacité permanente avec beaucoup de mouvement et donc de bruit dans le centre. 
Cela a amené des tensions qui se traduisaient par des mini agressions permanentes des deux camps, les lycéens et les étudiants post bac. 
Après réflexion avec tout mon personnel, nous avons conclu que nous n'arriverions pas à transmettre nos valeurs à un public pas assez mature pour les écouter. C'est à ce moment là que nous avons restreint l'accès à Dar Saïda aux étudiants post-bac.

Cette décision a été en majorité très bien reçue et nous avons reçu énormément de messages de soutien de la communauté, et cela nous rassure dans nos choix. 


Saïda Menebhi

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Saïda Menebhi, Femme marocaine, militante, poète a lutté toute sa vie pour la liberté, le droit des femmes, les libertés individuelles et l'égalité. Prisonnière politique, elle s'éteint le 11 décembre 1977 à 25 ans, faute de soins, après une grève de la faim de 34 jours

Saïda Menebhi nait à Marrakech en septembre 1952. Elle étudie la littérature anglaise à l’Université de Rabat et milite au sein de l’UNEM (Union Nationale des Etudiants du Maroc). A la même époque, elle adhère au syndicat pour lutter au sein de l’Union Marocaine du Travail et rejoint l’Organisation Marxiste-Léniniste IIal Amam (« En Avant »). Le 16 janvier 1976, elle est arrêtée en même temps que trois autres militantes : Rabaea Ftouh, Pierra Di Maggio et Fatima Oukacha. Elle est jetée en prison à Derb Mly Chrif et y subit des tortures physiques et psychologiques.

En janvier et février 1977, avec 138 militants marxistes-léninistes inculpés d’atteinte à la sûreté de l’Etat, elle est condamnée lors du procès de Casablanca à cinq ans de détention ferme, plus deux ans pour outrage à magistrat. Sous les applaudissements, elle dénonce plus particulièrement la situation d’oppression que vivent les femmes au Maroc. 

Toute sa vie, libre ou enfermée, Saïda Menebhi a écrit. Pour exprimer ses joies et ses peines, sa plus grande arme à toujours été sa plume. 

Son Recueil, "Poèmes-Ecrits-Lettres de Prison" est un poignant témoignage et fait parti de tout ce qui a rendu Saïda et son combat immortels. Elle y aborde avec une compassion rare la situation des prostituées au Maroc.

On y retrouve également les lettres, écrites pour sa famille lors de son séjour en prison. Encore une fois le premier mot qui vient à l'esprit à la lecture de ces lignes est sa douceur, si pure et sincère, si contrastante avec la détermination sans faille qui transparaît également à chaque ligne.

Ces écrits sont disponibles dans la bibliothèque de Dar SaÏda.