Driss Kettani

L'ARCHITECTURE DU SENSIBLE

  • NOM : DRISS KETTANI

  • LOCALISATION : CASABLANCA

  • OCCUPATION : ARCHITECTE

Driss Kettani fait partie de cette nouvelle génération d'architectes marocains qui font parler d'eux. Diplômé de l'Ecole Nationale d'Architecture de Rabat,  il défend un geste architectural à la fois rigoureux et sensible, où le lieu, la culture et les usages des habitants sont les points de départ de toute réflexion. Une approche qui va de pair avec un impératif de modernité et de contemporanéité, dans une quête constante de créativité et de sens. 

Il remporte en 2006 le concours de la Faculté Polydisciplinaire de Taroudant avec ses partenaires et amis Saad El Kabbaj et Mohamed Amine Siana. Ils réalisent également l’Ecole Supérieure de Technologie de Guelmim en 2011. Ces deux projets sont publiés dans de nombreuses revues d’architecture internationales et ont été exposés à New York, Paris, Venise et Milan.

Selon lui, l'architecture offre une matrice de lecture de toute une époque. Nous avons donc voulu l'interroger sur son approche architecturale et son regard sur les projets architecturaux marocains récents. C'est notre Ness Lioum du jour. 


  • QU'EST CE QUI T'A AMENÉ À L'ARCHITECTURE ? 

J’ai toujours été intéressé par l’art en général mais aussi l’architecture moderne avec notamment une prédilection pour les architectes Richard Neutra et Oscar Niemeyer dont les oeuvres me fascinaient réellement. Quand le choix s’est donc présenté à moi entre des études de médecine dentaire et l’école d’architecture, je n’ai pas hésité une seconde. La dimension artistique, très personnelle que peut avoir l'architecture, et dans le même temps la responsabilité qu'elle implique, l'impact qu'elle peut avoir sur les gens et sur la ville de manière générale constituent sa grande particularité et son principal attrait à mon sens.

Oscar Niemeyer - Le Musée d'Art Contemporain de Niterói, près de Rio. (Photo: Clarissa Cavalheiro/Reuters)

Oscar Niemeyer - Le Musée d'Art Contemporain de Niterói, près de Rio. (Photo: Clarissa Cavalheiro/Reuters)

  • QUELLES VILLES T'INSPIRENT LE PLUS ? QUELLE EST TA VISION DE LA VILLE D'AUJOURD'HUI ? 

Fès, Istanbul, Tanger, Barcelone, toutes ces villes ont une âme, sont gorgées d’histoire, de soleil et d’un parfum mystique qui les rend si particulières. Oui, ce sont ces villes qui m’attirent et plus généralement tous les paysages du pourtour méditerranéen. 

La ville doit se renouveler à mon sens aujourd’hui, devenir inclusive, retrouver du sens et s’adapter aux différents défis que posent nos modes de vie contemporains. Cela suppose de trouver de nouvelles solutions, de nouvelles manières intelligentes de « faire » la ville en changeant de paradigmes, de réflexes mais en se basant aussi - et cela n’est pas contradictoire - sur les leçons de notre patrimoine, de notre histoire.

  • QUELLES SONT TES MOTIVATIONS EN TANT QU'ARCHITECTE MAROCAIN ET QUELLES SONT TES FRUSTRATIONS ? 

La volonté de proposer à nos concitoyens des espaces où le mieux vivre est possible, des villes qui soient propices à un épanouissement, une créativité, un éveil du sens artistique, mais aussi aux notions de solidarité et de partage. L’architecture a cette capacité, lorsqu’elle est pensée avec intelligence, art et avec coeur, d’améliorer nos vies. A contrario, les difficultés rencontrées sur ce chemin constituent nos premières frustrations en tant qu’architectes: la ville façonnée par la spéculation, les lenteurs et les blocages inutiles, la perte d’énergie mais aussi la perte de la notion du beau. Les périphéries de nos villes sont d’une laideur terrible et cela ne semble pas émouvoir grand monde sans parler de l’impact que cela peut avoir sur leurs habitants…


"L’ARCHITECTURE A CETTE CAPACITÉ, LORSQU’ELLE EST PENSÉE AVEC INTELLIGENCE, ART ET AVEC COEUR, D’AMÉLIORER NOS VIES."


  • QUEL ARCHITECTE OU QUELLE RÉALISATION T'INSPIRE ? POURQUOI ? 

J’ai une grande admiration pour Oscar Niemeyer parce qu’il a su combiner plusieurs dimensions avec génie: la clarté, la rigueur et la rationalité de ses compostions, la puissance plastique rendue possible par un sens sculptural et une imagination hors du commun, et cette touche d’irrationnel, de baroque qui parachève pour ainsi dire ses œuvres. Peu d’architectes ont réussi à mon sens à proposer une œuvre qui synthétise de manière cohérente tous ces thèmes.

Et une admiration et une affection particulières pour les maîtres de l’architecture marocaine, Zevaco et Azagury que j’ai eu la chance de connaître et de côtoyer. Et je citerai une oeuvre que j’admire également, l’Opéra de Sydney de l’architecte danois Jorn Utzon. Il y a la dimension épique d’un geste total, une sorte d’alignement des comètes qui ne survient que peu de fois durant un siècle et qui aboutit à un pur chef-d’oeuvre. Preuve en est que ce bâtiment est rapidement devenu l’emblème de toute une nation et qu’il est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

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"Il y a la dimension épique d’un geste total, une sorte d’alignement des comètes qui ne survient que peu de fois durant un siècle et qui aboutit à un pur chef-d’oeuvre."

  • QUEL EST LE PROJET DONT TU ES LE PLUS FIER ? POURQUOI ? 

Notre tout premier projet avec mes amis et associés Saad El Kabbaj et Mohamed Amine Siana, l'Université de Taroudant. Quatre ans de dur labeur, et une certaine fraîcheur, voire même un entêtement qui ont finalement servi le projet. Nous avons tenu à ce que ce projet soit autant radical que contextuel et qu’il puisse se délester de toute fioriture, en ayant l’expression la plus forte possible. Je crois savoir, et cela me touche vraiment, que les étudiants et les habitants de Taroudant en sont fiers. 

Faculté Pluridisciplinaire de Taroudant - Driss Kettani, Saad El Kabbaj & Mohamed Amine Siana Crédit Photo : Fernando Guerra – FG + SG

Faculté Pluridisciplinaire de Taroudant - Driss Kettani, Saad El Kabbaj & Mohamed Amine Siana Crédit Photo : Fernando Guerra – FG + SG

  • VOUS AVEZ SIGNÉ BEAUCOUP DE PROJETS AVEC UN GROUPE DE JEUNES ARCHITECTES (SIANA, EL KABBAJ) ? PENSE-TU QU'ON FAIT DE PLUS EN PLUS CONFIANCE AUX JEUNES ARCHITECTES MAROCAINS ? 

On devrait en tout cas! Plus généralement, tout le monde est conscient que le Maroc a aujourd’hui besoin d’idées neuves, de fraîcheur, d’énergie et à ce titre les jeunes architectes ont bien évidemment leur rôle à tenir. Je pense qu’il y a aujourd'hui cette prise de conscience, à chacun de jouer sa partition avec conviction et un sens de l’intérêt général.

  • IL Y'A DEUX GRANDS ARCHITECTES QUI SIGNENT DES PROJETS D'ENVERGURE AU MAROC (DE PORTZAMPARC ET ZAHA HADID). QUE PENSES-TU DE CES RÉALISATIONS ? SONT-ELLES COHÉRENTES AVEC LE PAYSAGE MAROCAIN ? 

La question de la priorité et du dimensionnement de ces projets peut se poser. Il y a également la future programmation et la politique culturelle plus généralement: va-t-elle suivre avec d’aussi beaux écrins? Quant aux projets à proprement parler, je les trouve chacun pertinents par rapport à leur contexte, le théâtre de Rabat, spectaculaire sur un site qui ne l’est pas moins, et le projet de Casablanca, qui s’insère intelligemment dans un site difficile. 

Grand Théâtre de Rabat - Zaha Hadid

Grand Théâtre de Rabat - Zaha Hadid

  • DANS LE CADRE DES ENJEUX DE LA MÉDIATION CULTURELLE AU MAROC, ON NOTE QU'UNE ARCHITECTURE AUSSI MODERNE QUE LES DEUX GRANDS THÉÂTRES DE CASA ET RABAT PEUT REPRÉSENTER UN FREIN POUR LES NON INITIÉS, QU'EN PENSES-TU ? 

Je ne pense pas, l’architecture doit susciter la nouveauté, la surprise, surtout lorsqu’il s’agit d’équipements aussi emblématiques et une belle architecture bien pensée est rapidement adoptée par les gens. Elle reconfigure d’une certaine manière son environnement et son paysage en donnant l’impression qu’elle a toujours été là.