F7ali F7alek : un West Side Story à Tanger
Du 7 au 10 novembre dernier, l’histoire d’amour tragique de Roméo et Juliette a trouvé un étonnant écho sur les planches de la Casbah de Tanger. Ecrite et mise en scène par le jeune réalisateur américain George Bajalia, F7ali F7alek associe pour la première fois au Maroc l’art de Broadway et l’arabe dialectal marocain autour de thèmes universels. Hugo Massa et Joe Lukawski, l’un journaliste, l’autre documentariste, tous deux arabophiles et arabophones, nous livrent un récit et un reportage vidéo, qui captent l’ambition d’une représentation hors du commun.
George Bajalia arpente les rues accidentées de la médina de Tanger avec assurance, reliant n’importe quel point du labyrinthe du premier coup, poursuivi par des hordes d’enfants rieurs, là où les touristes y perdent toute raison. C’est que George Bajalia est ici chez lui, dans la Casbah de Tanger, où il a établi résidence il y a de cela plus d’un an dans le cadre d’un projet de recherche sponsorisé par une bourse Fulbright. Partant de son investigation sur les effets de la mondialisation sur le spectacle vivant contemporain, ce jeune natif de Jacksonville n’aura pas tardé à allier la pratique à la théorie. De là naît le projet de F7ali F7alek – en Français, « Comme toi, Comme moi » – son adaptation de West Side Story à la sauce marocaine, sponsorisé par l’American Language Center de Tanger via une bourse de l’ambassade américaine à Rabat.
Le choix de Tanger pour la première s’est imposé de lui-même, tant le qualificatif « international » relève du pléonasme quand il est associé à la ville du détroit. Mais, Bajalia a aussi découvert de frappantes correspondances entre les rivalités animant Sharks et Jets du New York des années 1950 et celles qui opposent les Tangérois d’origine aux personnes issues de l’intérieur du pays. « Nous racontons une histoire universelle, précise Bajalia, celle de Roméo et Juliette, celle de West Side Story, celle de la légende amazigh de Tislit et Isli, mais dans le Tanger contemporain. » Une trame des plus classiques donc. En revanche, là où George Bajalia innove, c’est par le choix ambitieux d’associer sans complexe son esthétique de metteur en scène réaliste à une langue rarement présentée sur les planches, l’arabe dialectal marocain (ou darija), et aux vécus des acteurs. Un brassage des cultures que résume clairement la bande son du spectacle : dans F7ali F7alek, les classiques de Bernstein chantés en anglais et les scènes de danse rythmées par les beats de Michael Jackson ou de Ke$ha s’entremêlent avec la musique arabo-andalouse jouée en live par le groupe local Abnae wa Binat Zaryab.
La diversité culturelle qui transparaît dans la mise en scène de Bajalia n’est en réalité qu’une mise en abîme de son véritable projet. « Le plus important pour moi est de stimuler le dialogue, précise-t-il, et je pense que le théâtre est une des meilleures façons de provoquer les conversations qui devraient avoir lieu dans le monde aujourd’hui ». Le premier de ces dialogues aura été celui avec les acteurs. Venus des quatre coins du royaume, recrutés sur casting, amateurs et professionnels ont tous apportés avec eux leur propre interprétation du drame, leur appréhension du Maroc contemporain et leurs talents. « Les différences culturelles et linguistiques sont une barrière, présente à chaque interaction, admet le producteur de la pièce, Tom Casserly, précédemment nominé aux Tony Awards, mais elles trouvent clairement une contrepartie dans l’apprentissage que l’on retire d’une telle expérience. »
C’est aussi au nom du dialogue que Bajalia a mis au cœur de son projet une écriture dans le parler de tous les jours – la darija – avec la précieuse aide du traducteur Zakaria Alilech. Dans un pays où la plupart des pièces de théâtre sont joués soit en Arabe classique soit en Français, ce choix est la condition sine qua non pour rendre le spectacle accessible au plus grand nombre. L’attroupement d’enfants du quartier, revenant soir après soir s’asseoir en tailleur devant la scène, témoigne sans conteste de la justesse de la vision du metteur en scène. « Je pense que pour que les gens apprécient une histoire, confie-t-il, ils doivent pouvoir s’identifier aux personnages et se sentir à l’aise dans la narration, c’est pour cela qu’il m’est apparu tout naturel de raconter F7ali F7alek dans la langue de la rue. »
Texte et reportage vidéo de Hugo Massa et Joe Lukawski. Photos de Omar Chenaffi.
Report: Broadway in Tangier - F7ali F7alek from Hugo Massa on Vimeo.