Imane Djamil
MÉTAPHORES FILMÉES
Imane Djamil fait partie de ces artistes à l’aura particulière… Quand elle rentre dans une pièce, elle emplit tout, de manière désinvolte et presque inconsciente, par sa présence et ses histoires. Imane a toujours quelque chose à raconter, un voyage, une rencontre, une idée et son sourire insouciant cache en réalité une grande sensibilité et une profondeur précoces. Lorsqu’on la rencontre enfin en 2015, on avait déjà parlé d’elle déjà deux ans auparavant sur Lioumness. Elle a tout juste 18 ans, rentre d’un périple en Islande et prépare une exposition à l’Institut du Monde Arabe où elle est la plus jeune artiste à représenter “Le Maroc contemporain”. Retour sur le parcours atypique de la jeune photographe.
On découvre les photos d’Imane Djamil alors qu’elle n’a que 16 ans. Elle fait alors partie de “La marche rose” et accompagne Rim Battal et Lamia Belodi, toutes deux également photographes, dans une odyssée à travers le désert marocain, à la recherche de leur féminité et de leurs libertés. C’est là qu’elle fait la découverte de Tarfaya, ville désertique de 3000 habitants, a priori sans grand intérêt. Mais Imane a toujours nourri un sens du lyrisme et un goût pour la désuétude, et ces ruines, au milieu de nulle part, enfouies entre les dunes, l’inspirent au point qu’elle en fait un sujet de travail, puis un pèlerinage. Tous les ans, elle retourne ainsi dans l’ancienne cité espagnole, autrefois comptoir commercial connu pour avoir été le lieu de résidence de Saint Exupéry, et documente la décrépitude de son passé glorieux. Une forteresse en plein milieu de l’océan la fascine : coincée entre ciel et terre, délicatement rongée par la mer, marquée par le temps et les guerres, ce bout d’architecture qui vient altérer la nature est comme une plaie sur le corps, que le sel viendrait guérir, comme pour la réconcilier avec le passé. La dimension métaphorique et fictionnelle de son approche donne alors un nouveau cours à son travail qu’elle accompagne de poèmes pour raconter l’espace. La géographie de la ville lui permet en réalité de parler d’elle-même en s’identifiant aux ruines et d’accéder à l’intime en personnifiant l’espace étudié. C’est donc sur les routes du sud et sous forme de carnet de voyage, un format encore dénigré qu’elle cherche à réhabiliter, qu’Imane crée la série « Là ou s’harmonisent la frayeur, le pin et moi même », dont les textes sont un hommage au poète iranien Sohrab Sepehri.
Elle qui avait commencé à prendre des photos dès le collège pour alimenter un blog à la façon d’un journal intime, a finalement toujours eu ce rapport quasi existentiel à la photographie. À 12 ans déjà, la photo lui sert d’exutoire et la sort d’une dépression survenue trop tôt. Depuis, elle appréhende la photographie comme la littérature, cherche les figures de styles, lit entre les lignes, et trouve de la poésie dans ses clichés. Pourtant sa pratique de l’écriture qui l’a toujours accompagnée dans sa vie reste indépendante de la photo. Même s’il y a un dialogue entre les deux médiums au niveau des thématiques et des symboles, l’écriture a d’abord fait simplement partie de son quotidien dans un processus plus spontané et viscéral, avant d’être considérée comme une forme artistique, là où son rapport à la photographie est plus intellectualisé et apaisé.
Mais malgré sa maturité intellectuelle, Imane n’est pas une bonne élève, et aux bancs de la fac elle préfère l’école de la vie. Son âme voyageuse et sa nature solitaire ne tardent pas à répondre à nouveau à l’appel de la route. Ses voyages, elle ne les programme jamais vraiment. Elle part, simplement, par envie ou par instinct, et se débrouille toujours pour faire des rencontres formidables qui la nourrissent et l’inspirent. Elle a toujours eu de la chance dans son insouciance. Sauf en Islande. Dans le pays le plus sûr qu’elle a pu visiter, elle se retrouve à faire un grave accident de voiture et se brise le dos. Littéralement. Ici encore on retrouve le lien entre le corps, la nature, les lieux et les émotions.
« IL Y a des endroits où le sublime domine et où le danger ne peut venir que de la nature. Parfois j’ai pu ressentir que certains endroits ne m’aimaient pas »
Quelques années plus tard, elle se retrouve à Sarajevo, ville figée dans un décor d’après-guerre aux murs encore criblés d’impacts de balles. Elle y fréquente la communauté queer, symbole de cette nouvelle génération qui cherche à se reconstruire mais qui reste marquée par le passé. La culture là-bas est encore considérée comme underground et les gens regrettent le communisme. Imane comprend combien le rapport des Hommes aux espaces et à l’Histoire peuvent façonner une ville. Elle finit par mettre en miroir “Copie Double”, sa série sur la capitale bosniaque, et ses clichés pris à Tarfaya dans un projet qu’elle appelle “Autoportraits en espace”. Sa réflexion l’amène notamment à regretter que le devoir de mémoire vienne figer l’histoire des lieux là où la vie continue à être créée, où de nouveaux usages et récits naissent. La version officielle des manuels scolaires ne devient alors qu’une mystification qui sacralise un lieu pour ce qu’il a été mais jamais pour ce qu’il est devenu.
« il y a des lieux tellement chargés par la violence qu’on devrait normalement les supprimer pour ce qu’ils représentent, mais au contraire, on les garde pour ce qu’ils sont en tant qu’architecture. »
Son rapport au Maroc dans tout ça ? Conflictuel, comme beaucoup de jeunes, et a fortiori artistes, de sa génération. Même s’il est désormais très loin de son travail actuel, elle garde d’ailleurs un certain attachement et une forme de tendresse pour son premier projet en tant qu’artiste, « Printemps Barbare », shooté en 2011 à Casablanca. Une sorte de portrait de la jeunesse créative, en quête de liberté mais aussi de repères, aux prises avec un modernisme enrayé. Casablanca devient même une métaphore de cette dualité omniprésente. Imane en parle comme d’une « prostituée pénétrée de toutes parts », exploitée pour ses opportunités, souillée, tout en restant le berceau des espoirs de cette jeunesse. En d’autres termes, Casablanca est au Maroc ce qu’est l’American Dream ailleurs, avec son lot de surprises et très souvent de désillusions, comme un « géant balafré qui fascine ».
Pourtant, elle reconnaît qu’artistiquement, « le fait d’avoir beaucoup de limites pour s’exprimer est très intéressant », car ça la pousse à être plus créative, à innover, à créer en dehors du confort de la liberté d’expression. De la liberté tout court. Cette approche expérimentale, en constante recherche, l’a finalement menée à exposer à nouveau au-delà des frontières du royaume, de Rome à Basel, en passant par Lisbonne ou Bruxelles.
Et pour la première fois, en partenariat avec Lioumness, Imane présentera du 15 novembre au 15 décembre prochains une expo-vente en ligne autour de la série “Film Noir”, jamais présentée auparavant. Des clichés en tirages limités d’un road-trip aux Etats-Unis où les ciels dramatiques se mêlent aux grands paysages pour faire écho à la fois au pessimisme par essence de la photographe, mais aussi à son goût de l’art pour l’art, juste pour la beauté du geste photographique.
Pour plus d’informations : contact@lioumness.ma.
HARRAGA BAG
“SI TU DEVAIS TOUT QUITTER DU JOUR AU LENDEMAIN, QU'EMPORTERAIS-TU AVEC TOI ? TON MAC, TON BOUQUIN PRÉFÉRÉ, TON CHAT ? PRÉPARE TON HARRAGA BAG ET RACONTE-NOUS SON HISTOIRE...”
Je ne m’encombre pas beaucoup quand je voyage, le plus souvent je ne prends que le nécessaire, c’est-à-dire :
mon appareil photo avec des pellicules
mon téléphone (pour la musique surtout)
un carnet : un immense bordel ! J’y note mes idées, que je ne comprends pas parfois en me relisant, mais aussi des chapitres entiers de tentatives de roman, des listes de choses à ne pas oublier etc...
mon passeport et mon porte-monnaie.