Jalil Tijani

Humour et mélancolie

Il est la figure montante du one-man-show marocain. Avec Jeux de société, le spectacle qu’il joue depuis maintenant deux ans, Jalil Tijani a assuré plusieurs représentations à guichet fermé à Casablanca, et se produira le 24 janvier prochain au Théâtre Mohammed V à Rabat. Portrait.

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Nous avons rencontré Jalil au lendemain d’un spectacle à Casablanca. Toujours sous l’effet de l’émotion et de l’adrénaline, c’est un jeune homme fin, malicieux et plein d’esprit qui nous a accueillis, partageant avec nous sa vision du rire et son regard à la fois tendre et incisif sur la société marocaine.

LE POUVOIR DU RIRE

A 7 ans déjà il faisait rire ses proches en imitant une tante un peu trop fantasque. Il sentait naître en lui ce pouvoir si particulier qui est de maîtriser l’atmosphère d’une pièce, de faire voler des tensions dans un éclat de rire. On décèle toujours cet esprit enfantin chez celui qui, aujourd’hui adulte, prend la vie suffisamment au sérieux pour en rire tout le temps, allègrement.

L’oeil vif de celui toujours à l’affût du bon mot, Jalil ne manque rien. Il observe les gens autour de lui, guette leurs moindres gestes, leurs expressions, leur diction, pour les attribuer ensuite à des personnages tout aussi extravagants les uns que les autres.

La darija elle-même devient l’instrument de son humour, avec ses sonorités parfois risibles qui se prêtent aux jeux de mots, à la théâtralisation et au comique de langage. Pour lui, la langue darija présente une puissance humoristique infinie. “C’est une langue perméable, traversée, qui permet les néologismes, les fusions entre différentes langues…”

La société marocaine est pour lui un formidable terrain de jeu. Il tente de cerner ses singularités, ses névroses, et de saisir ce sens de l’humour si particulier qui la caractérise, à la fois fin et acerbe. Jalil relève ces nuances, les décortique pour mieux en jouer. Il nous confie même que souvent ses personnages sont en deçà de la réalité, et que le réel surpasse la caricature…

RIRE ENSEMBLE

Pour Jalil, le rire est la manifestation d’une décompression, d’une tension qui se dénoue, d’un éclat. C’est surtout le meilleur moyen de dire des choses sérieuses et compliquées. Parler de choses graves avec légèreté est nécessaire selon lui, surtout par les temps qui courent…


“Voir des gens rire ensemble c’est merveilleux !”


Puisque le monde est trop sérieux, il s’emploie à rire de tout, tout le temps. “Nous ne sommes que des humains périssables, nous devrions rire de notre condition, rire tout le temps.” Pour lui, quand c’est compliqué, c’est précisément là qu’on a besoin de rire : “Les gens ont peur de parler de sexualité, de religion, … le rire est en cela une merveilleuse arme contre la bêtise et la peur.” La société marocaine est traversée par les conflits internes, et rire ensemble de cela nous fait du bien. Dans une sorte de thérapie collective, on se prend finalement d’affection pour nos propres défauts.

Il nous a parlé ensuite de la figure du clown à travers le monde et les civilisations. Des cours royales aux tribus les plus reculées, la figure du clown a toujours été présente. Le clown est le seul qui, de tout temps, pouvait se permettre de dire certaines choses à la communauté. L’humoriste est en cela un garde-fou, capable de faire le portrait d’une société et de ses travers, et avoir finalement la position la plus juste pour être écouté et donner à réfléchir.

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“Là où il y a du conflit interne, y’a du théâtre.”

RIRE ET MÉLANCOLIE

L’humour c’est une élégance, l’expression d’une tendresse pour le monde, les gens, leurs défauts et leurs impuissances. Il y’a quelque chose à la fois de réfléchi et de très sensible dans la manière qu’à Jalil de faire rire. On devine un propos mais surtout une intuition forte dans sa façon d’incarner ses personnages, qui traduit quelque part de l’indulgence et de la bienveillance envers chacun d’eux.

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“ Le point commun entre tous mes personnages, c’est la tristesse !


Selon Jalil, le rire a trait à la mélancolie. En effet, il y’a quelque chose de mélancolique dans le fait de faire rire, une sorte de volonté de puissance contre la morosité ambiante, un élan vital même. Même si ses personnages sont fantasques et extravagants pour la plupart, ils n’en restent pas moins attachants voire touchants par leurs maladresses et leurs paradoxes.

L’humour n’est donc pas tellement frivole, c’est même une manière puissante de percevoir le monde, pour “affronter l’existence en étant à la fois concerné et détaché, capable d’alterner la tristesse et le rire”.*

* Claudio Magris