La révolution n'a pas eu lieu de Sonia Terrab, chronique de la wuss generation marocaine

La révolution n'a pas eu lieu n'est pas un essai politique. Le 20 février, c'est le décor que Sonia Terrab a choisi pour parler d'amours avortées, de révoltes paresseuses et d'aspirations lâches. Elle fait le portrait,  sévère dans son indulgence, d'une jeunesse paumée, en quête de sens, de liberté, et de salut.

Crédit : Elise Ortiou Campion
Crédit : Elise Ortiou Campion

Crédit : Elise Ortiou Campion

Ylias, jeune doctorant brillant et passionné rentre de Paris pour mener la révolution aux côtés « des siens », ces fils du peuple avec qui il ne partage rien de plus que "des mots plus grands, plus vieux que lui : liberté, justice, espoir". Parce qu'Ylias est le digne héritier d'un système qui en a fait un privilégié et dont il n'arrive pas à s'affranchir. Meya, sauvage, enragée et totalement ingérable ne croit, elle, absolument en rien. C'est elle la vraie héroïne du roman, la seule à se battre véritablement et à lui reprocher justement son combat de bourgeois, sa lâcheté, surtout lorsqu'il s'agit d'amour. Elle, qui achète sa liberté en vendant son corps à des hommes qui s’ennuient, eux-mêmes prisonniers d'épouses castratrices ou de vices névrotiques. Aucun d'eux n'est prêt à changer, à s'accepter, et la colère est tout ce qu'ils ont en commun ; de différentes espèces, c'est le trop plein dans les excès de Meya, et le mutisme dans les réflexions intellectualisantes d'Ylias.

Avec une justesse absolue, Sonia livre un roman extrêmement dense, surprenant et réfléchi, là où on aurait pu s'attendre à un sequel trash et convenu de Shamablanca. Si, dans l'urgence de sa narration, elle questionne toujours les mêmes thématiques sans jamais apporter de réponse, la colère idéaliste de son premier livre laisse place à un travail d'écriture beaucoup plus profond, porté par un ton plus cynique, résigné, presque nihiliste. « Shamablanca c'était un cri. Ce livre je l’ai construit, et c’est beaucoup plus douloureux » nous confie-t-elle. On retrouve néanmoins avec plaisir sa façon bien à elle de planter le décor, à coups de descriptions puissantes, de tweets interactifs et de playlists suggestives. Elle-même admet avoir une démarche plus cinématographique que littéraire dans son besoin de visualiser son action, de la découper par scènes, et de réussir à la transmettre, plan par plan.

Mais la vraie force du roman reste ses personnages. Ils sont vrais, touchants, complexes. On oublie l'aspect transgressif et la débauche pour s’intéresser à leurs histoires, essayer de recoller les morceaux, les mettre au défi de l’espoir. On est d'ailleurs surpris d’en apercevoir la lueur à la fin du roman. Ou du moins on en a envie. Et pourtant, "l'auto-destruction reste nécessaire, d'après Sonia, surtout quand on est jeune, car ça laisse moins de place aux regrets ».

Son personnage préféré ? C'est finalement Zyad, le grand frère un peu looser de Meya. Plein d’humanité, et "complètement à côté de la plaque", Sonia avoue avoir de la compassion, de la tendresse pour lui. C'est ce personnage qui arrive à la fin du processus d'écriture et qui débloque tout.  Celui-même qui lui inspirera probablement son prochain héros, comme M (meilleur ami/amant de Shama) a été l'ancêtre d'Ylias. Zyad représente d'ailleurs assez bien la résignation de cette génération désabusée qui n'a pas fait sa révolution. Coupable et victime à la fois. Coupable de sa paresse, de son ennui et victime de sa jeunesse, de son manque de souffle et d'inspiration. C'est la generation wuss de Brett Easton, le Bling Ring de Sofia Coppola.

Et pourtant cette non-révolution réveille en nous ce désir de révolte vaine, cette envie de crier pour crier, et pour exulter enfin. Cette révolte salutaire qui s’élève contre la facilité du quotidien, ébranle l'oisiveté, et questionne la complaisance. "Commencer par se libérer soi-même avant de pouvoir demander sa liberté", des mots empruntés à Fernando Pessoa qui ouvrent le roman, et le concluent finalement si bien.