Lalla Essaydi, contre-clichés de la femme arabe

Lorsqu’on tombe nez à nez avec une œuvre de Lalla Essaydi pour la première fois, on est saisis par un sentiment de ravissement profond, on se sent comme privilégiés de rentrer dans l’intimité de ses séries. Et puis étrangement, on dépasse la beauté du cliché, nos pensées se bousculent pour commencer à comprendre le niveau de détail et la complexité des œuvres. Lalla Essaydi n’est pas seulement photographe. Artiste engagée et multi-médiums, elle réalise de véritables compositions, pour ouvrir un dialogue et questionner la foi, la culture, et le genre. Son travail, d’inspiration autobiographique, suggère la forte présence de la femme arabe dans son environnement en dépit de sa soumission. Elle apporte ainsi un regard nouveau sur la perception de la femme arabe, la représente telle qu’elle la voit, forte et humaine, et conteste les stéréotypes liés à son identité.


« Le fait d’être une artiste arabe vivant en occident me confère une perspective unique pour observer les deux cultures, deux cultures qui m’ont marquée. » 


Lalla Essaydi travaille ses photos comme des peintures et crée ses propres tableaux avec un grand sens de la composition. Dans la série Harems & Bullets revisited, si la quantité d’ornements, l’opulence des bijoux et la finesse des broderies renvoient à l’univers des harems du XIXème, Lalla nous rappelle que tout ce qui brille n’est pas or. Son interprétation des œuvres orientalistes provoque le regard du visiteur pour l’inviter à y découvrir les différentes strates de messages qui y sont cachés. Les parures sont en réalité faites de balles de plomb et suggèrent plutôt le danger et la violence à laquelle les femmes arabes sont exposées. Ses modèles ne sont plus ces mulâtres fantasmées dans l’imaginaire des hommes européens. Ce sont des odalisques modernes qui posent volontairement face à l’objectif d’une femme, avec fierté et assurance.

Les œuvres, déjà puissantes et imposantes par leurs dimensions et la quantité d’informations et de détails qui les composent, se révèlent alors fabuleusement. Le malaise et la fascination quasi voyeuriste face à ces beautés froides et inquiétantes se transforme en épiphanie criante. Là où l’on voyait des voiles indiscrets, apparaissent de lourdes armures et la luminosité des œuvres livre alors une poésie plus sombre. Les femmes disparaissent sous la calligraphie masculine ou se fondent dans les motifs des murs de leurs harems. Comme enfermées dans leur propre condition, elles plient sous le poids des mots, et tentent malgré tout de nous susurrer quelque chose, discrètement.

En détournant les codes de la peinture occidentale du XIXème siècle, Lalla Essaydi s’inscrit dans une démarche contemporaine qui transcende le monde arabe et s’adresse à tous, en remettant brutalement en question l’utilisation de l’image de la femme arabe dans la création occidentale. Une oeuvre résolument subversive et salvatrice.