La femme dans les médias marocains : 3 questions à Salim Cheikh

En 2012, Salim Cheikh, DG de la chaîne TV et Radio 2M, présentait une conférence TedX sur la place de la femme dans les médias marocains et s'engageait sur un certain nombre de mesures. Aujourd'hui, dans le cadre de la publication "Vers un féminisme humaniste dans le monde arabe" nous faisons le bilan en trois questions.


"Nous cherchons à surprendre sans choquer, renvoyer une image des femmes plus aspirationnelle et être au final non seulement un reflet neutre de notre société mais une sorte de miroir vertueux."

- Salim Cheikh


 

  • Quels constats sur la place actuelle de la femme dans les media marocains ?

Globalement l’image de la femme marocaine que véhiculent les médias ne reflète suffisamment ni sa place dans une société dont elle représente la moitié, ni la diversité des responsabilités qu’elle assume aujourd’hui dans les domaines politiques, économiques, culturels et sociaux. On constate également que malgré la bonne volonté des opérateurs médias dans ce domaine, des stéréotypes négatifs persistent encore dans le champ médiatique. Car si les femmes occupent des responsabilités de premier ordre dans les médias - plus de 40% du corps journalistique de 2M est féminin - et qu’elles y bénéficient d’une visibilité encourageante - plus de 40% des émissions sont soit présentées soit dédiées aux femmes -, il n’en demeure pas moins que des efforts restent à faire concernant la nature de cette visibilité, les rôles qui sont assignés aux femmes dans les médias et les clichés négatifs qui leurs sont généralement attribués.

Ainsi, et c'est là que le bât blesse, la présence des femmes en tant qu’expertes intervenant dans les émissions de débats et les journaux télévisés est encore très faible (10%). De même, les stéréotypes diffusés dans certains types de programmes, notamment la fiction et la publicité, continuent à entretenir l’image de femme soumise, réduite aux tâches ménagères, traditionnelle, peu instruite, victime voire parfois écervelée.

  • 2M a récemment adopté une charte qui agit comme garde-fou nécessaire pour aller dans le sens de la parité. Quel est l'impact réel attendu d'une telle mesure ?

La charte 2M pour la valorisation de l'image de la femme est avant tout un outil de prise de conscience collective. Nous avons pris comme point de départ l'article 19 de la nouvelle constitution qui élève la parité au rang de droit fondamental et avons élaboré une charte sous formes d'engagements qui s'articulent en 4 axes.

D'abord, en assurant un présence qualitative et valorisante des femmes en tant qu'expertes dans les émissions de débats et les informations. A ce niveau, nous pouvons d'ores et déjà nous féliciter d'être passés de 10% à 30% de présence féminine dans ce type d'émissions. L'objectif étant évidemment de tendre vers la parité à terme.

Ensuite, nous nous engageons à lutter contre les stéréotypes négatifs dans tous nos contenus à travers les formations et l'élaboration de guides anti-stéréotypes. Il faut savoir que c'est un objectif assez complexe pour au moins deux raisons : d'une part l'identification des clichés n'est pas chose aisée tant ils sont insidieux et ancrés dans la banalité de l'imaginaire collectif; et d'autre part, le processus de création impliquant plusieurs strates, il s'agit de sensibiliser les responsables de contenus mais également les auteurs, scénaristes, dialoguistes, réalisateurs, journalistes...

Nous nous attachons également à augmenter la vigilance à travers un monitoring de nos programmes qui peut nous aider à déceler les atteintes à l'image de la femme et rectifier le tir rapidement. Cela nous a permis par exemple lors du ramadan dernier de réagir à temps et de suspendre d'un commun accord avec un grand annonceur de la place une campagne de pub qu'on estimait clairement misogyne.

Et enfin, nous nous employons à développer une ligne éditoriale qui intègre l'approche paritaire et valorise les femmes dans leur diversité. à titre d'exemple, la plupart des fictions de ramadan 2014 avaient pour héroïnes des femmes.

  • La pop culture est un enjeu majeur pour changer les mentalités de manière profonde et durable, créer des références communes, des expressions communes. "Mra ou gadda"… Qu'en pensez-vous ? D'autres initiatives dans ce sens à venir ?

Je suis à 100% d'accord avec vous. Pour moi, le changement de mentalités doit venir de l'intérieur de notre imaginaire collectif, de notre culture populaire voire même de nos préceptes religieux. Et la coïncidence est assez intéressante puisqu'en 2014 nous avons justement diffusé Mra ou gadda, cette mini-fiction qui raconte de manière humoristique les petites situations comiques de 30 femmes qui font des métiers "d'hommes". Vous aurez remarqué également que dans l'émission Masterchef, nous avons délibérément opté pour un casting avec autant de femmes que d'hommes, notre façon à nous de dire que la cuisine n'est pas forcément une affaire de femmes. Nous cherchons donc à surprendre sans choquer, renvoyer une image des femmes plus aspirationnelle et être au final non seulement un reflet neutre de notre société mais une sorte de "miroir vertueux".

Né en 1972, il est diplomé en 1994 du cycle normal de l'ISCAE, puis titulaire d'un DESS Marketing de l'Université de Toulouse. En 2000, il est Marketing Manager Maghreb à Unilever Maghreb, puis Directeur Marketing aux Fromageries BEL Maroc, avant de devenir Directeur Marketing et Commercial de BEL INTERNATIONAL (zone Afrique du Nord).