Mooks et nouveaux médias alternatifs dans le monde arabe

Le renouveau du monde arabe dont traite cette publication ne saurait être complète et aboutie sans l’effort et l’engagement de nouveaux médias alternatifs, indépendants et engagés. La liste est longue mais nous choisirons d’en retenir quatre, deux publications anglophones et deux publications francophones. Leur premier point commun est d'être des « mooks » (contraction anglosaxone de books et de magazines), qui allient « le format d’un livre mais l’énergie d’un magazine » (Rukh.fr)

Si leurs démarches et leurs approches sont différentes, ces quatre projets partent tous du même constat : la représentation du monde et de la culture arabe dans les médias occidentaux se trouvent être très loin de la réalité, occultant notamment sa complexité et sa diversité.

Leur objectif est clair et une double-ambition les rassemble : se réapproprier le discours et le traitement de l’information pour devenir les portes-paroles de la nouvelle scène émergente de la région d’une part, et offrir un espace d’expression, une tribune à ses acteurs créatifs dans la construction de l’identité d’un « nouveau monde arabe » d’autre part, à travers un certain sens de l’esthétisme et un travail graphique de réinterpréation des codes et des motifs.

•  Le plus rebel: Rukh (Paris)

 « L’esprit du nouveau monde arabe »

Créé il y a un peu plus d’un an sur fond de révoltes arabes, Rukh, phoenix des Milles et Unes nuits de la mythologie arabe, est un magazine trimestriel de société tiré à 15 000 exemplaires et distribué entre l’Europe et quelques pays francophones de la région MENA. A travers des sujets sensibles et parfois très polémique – on retiendra notamment « l’homosexualité dans le monde arabe » dans leur dernier numéro Amour - la ligne éditoriale de Rukh a pour ambition d’identifier les défis du monde arabe contemporain et d’apporter une réflexion sur les entreprises les plus innovantes de la région sans jamais chercher à ignorer les spécificités de chaque pays et de chaque culture. Rukh est finalement une tribune libre et ambitieuse, composée de 3 rubriques qui définissent à elles seules la ligne éditoriale du trimestriel « Visionnaire, Engagé, Provocateur, Audacieux” pour un contenu très éclectique, une veritable recherche, loin des clichés habituels.

Beitkukh ou les “Maisons Rukh” sont un relais de la publication papier qui permettent de recevoir des ateliers et des conférences afin de toujours alimenter le débat et de sensibiliser plus de monde aux enjeux sociaux des mutations du monde arabe. Leurs champs d'intervention ? L’éducation, avec la distribution de brochures et la participation à un cours à la Sorbonne d’Abu Dhabi; le cinema, à travers le soutien à de nombreuses productions indépendantes; la photographie, par de prestigieux partenariats; l’humanitaire, avec comme priorité la cause infantile; et enfin, l’agriculture et le transport, en se concentrant pour l’instant sur la cuisine moléculaire. Un beau chantier qui verra ses premières pierres posées à Marrakech puis à Tunis.

• Le plus collaboratif : Kalimat magazine (Londres)

« Challenge the statut quo »

Kalimat, « mots » en arabe, s’est donné pour mission de remettre en question le statut quo établi par les médias de masse en redonnant une voix aux créatifs, rédacteurs et designers de la région. Production media indépendante à but non lucratif, Kalimat s’intéresse aux à la création artistique nouvelle, aux initiatives culturelles audacieuses et aux convictions politiques engagées. Comment ?  En offrant une plateforme d’échanges et de synergies autour de différentes thématiques. Résultat, un produit exclusivement réalisé par "des arabes pour tout le monde", avec toujours à coeur l'espoir de porter un message universel et de promouvoir la diversité des profils qui converge dans le monde arabe.

Au delà du magazine, Kalimat est aussi un atelier de design qui s’engage pour l’éducation à travers des programmes de recherche en plaçant le design comme levier de changement et de développement pour trouver des solutions innovantes à des problématiques socio-politiques.

Un projet global comme on les aime chez Lioumness et auquel on s’identifie forcément. Ce qui nous rend d’autant plus fiers d’avoir été featurés pour leur N°8 (notre interview ici).

• Le plus stylisé : Brownbook (Dubaï)

 « An urban guide to the Middle East »

On pourrait d’emblée penser cette publication comme étant plus élitiste et moins ouverte sur la région. Pourtant force est de constater que de nombreux marocains y trouvent déjà leur place : Younes Duret,  Hassan Hajjaj ou encore Said Mahrouf pour ne citer qu'eux. Que des pointures ! Depuis plus de sept ans que la revue bimensuelle est éditée, elle apparaît en effet comme étant la référence la plus immédiate et la plus établie en matière de création et de lifestyle dans le monde arabe. De Tanger à Téhéran, le spectre de Brownbook est donc plus vaste qu’on ne le pense souvent et les deux suppléments annuels « design-conscious »  témoignent d’un réel engagement auprès de la scène créative contemporaine arabe au sens élargi. Dans une recherche permanente d’esthétique, c’est dans ce mook que vous trouverez les plus beaux éditos de mode et que le design arabe vous fera le plus rêver. Donc certainement aussi le plus visuel, que l’on aime feuilleter à la façon d’un carnet de voyage.

•  Le plus éclairé : Noor (Paris) 

« Pour un Islam des lumières »

Noor, "lumière" en arabe, est le petit dernier qui n’a pourtant pas manqué de nous surprendre. Affichant un slogan courageux et explicite et porté par de profondes convictions et des valeurs universelles et humanistes, le premier bébé de « Noor » né au printemps dernier cherche à répondre à la situation de crise identitaire que traverse une France confuse sur fond d’islamophobie et d’instrumentalisation. On découvre que c’est finalement une extension de l’Association pour un Islam des Lumières fondée par le philosophe Malek Chebel, également rédacteur en chef de la revue, dont ambition est d’approfondir la connaissance de l’Islam comme religion et civilisation historique mais surtout de la replacer dans la réalité du monde actuel. Ici encore, Noor se positionne comme porte-parole et outil de réflexion et de médiation vis-à-vis des enjeux que représentent la deuxième religion de France. Une vision nouvelle qui offre une place toute particulière aux artistes en marge ou aux projets innovants autour de l’Islam contemporain dans la volonté de rendre ce fameux « Vivre Ensemble » possible et viable justement.

Nous espérons simplement que la ligne éditoriale de Malek Chebel saura toucher un large public pour que la diffusion de son message ne se limite pas à une catégorie de lecteurs avertis et déjà éclairés.