Raja Saddiki

La passion de l'image en héritage

Nom : Raja Saddiki

Occupation : Réalisatrice

Localisation : Casablanca, Maroc

Il y a quelques temps, on vous parlait d'Aji-Bi, notre coup de coeur qui avait remporté le Prix du Public lors de la 7ème édition du Festival International du Film Documentaire d'Agadir. Aujourd'hui, on vous propose d'aller à la rencontre de la réalisatrice du film, Raja Saddiki, fille du célèbre dramaturge Tayeb Saddiki, qui fait son entrée dans le paysage cinématographique marocain. Pour nous, elle revient sur son parcours, nous parle de ses inspirations, de ses projets et de sa démarche créative. Rencontre.

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"J’ai grandi sur les tournages des captations des pièces de théâtre de mon père."

  • Peux-tu revenir un peu sur ton parcours : d'où te vient cette envie de faire de l'image et pourquoi avoir choisi le documentaire comme format ?

J’ai grandi sur les tournages des captations des pièces de théâtre de mon père. J’ai toujours été intéressée par le milieu, fascinée même par les femmes qui cadraient, mais je ne pense pas avoir développé de vocation pour autant à l’époque. C’est bien plus tard, presque par hasard que je me suis tournée vers l’image. J’ai commencé par une maîtrise en communication et publicité. J’ai fait quelques stages en marketing en boite de prod mais ca ne m’intéressait pas vraiment et je sentais que mon apprentissage était incomplet. Un jour tout simplement, en sortant du Mégarama, j’ai trouvé le dépliant d’une école d’audiovisuel et je me suis dit que c’était ce que je devais faire. Et puis le doc s’est imposé à moi. J’ai d’abord rencontré Hind [Bensari] qui travaillait sur son documentaire 475, break the silence sur l’affaire Amina Filali. On a beaucoup travaillé à l’instinct, en reprenant le format reportage qu’on a enrichi d’interviews, de voix off et d’images de coupe, mais finalement on a plus fait des recherches sur le sujet que sur la technique et c’était une première expérience hyper riche et humainement très touchante.

Par ailleurs, j'ai aussi bien travaillé sur des vidéos institutionnelles, que de la TV réalité ou des reportages pour TV5 Monde par exemple.

  • Quelles sont tes influences, sources d'inspirations ? Les réalisateurs que tu admires ? 

Je suis vraiment fan de vieux films : cinéma asiatique, cinéma expressionniste allemand ou néo-réaliste italien, et films d’auteur en général. En ce moment, je ne regarde que des documentaires ou des reportages, je suis fascinée par le réel. Les maîtres incontestés que j’admire ? Raymond Depardon, Chris Marker, Jean Rouch.

Après concernant ma démarche, j’essaie toujours d’imaginer ma propre histoire pour ne pas être trop influencée par tout l’univers visuel qu’on accumule au fur et à mesure. Je préfère réaliser en fonction du sujet que je traite et des circonstances, je ne m’impose pas de modèle en particulier.

  • Quels sont tes prochains projets ? Le film que tu rêves de réaliser ? Qu’est-ce-que tu penses de la (auto)censure dans un pays comme le Maroc pour traiter des sujets délicats ? 

J’ai déjà repris des petits reportages musicaux, on démarre L’Boulevard et je travaille sur le making-off de l’an dernier. J'y traîne depuis mes 14 ans, et en 2008 j'ai commencé à collaborer avec eux, ils m’ont toujours encouragée. J’ai d'abord commencé aux loges, puis ils m’ont louée une petite caméra pour réaliser un best off. Ensuite, ils m’ont donné toutes les cassettes d’archive pour que je m’entraîne à monter. Et surtout, je suis passionnée de musique : j’écoute de tout du rock au reggae, en passant par le jazz, le blues le métal, ou la musique malienne. Et puis je joue un peu aussi, du ukulélé et du banjolélé.

"Je suis passionnée de musique." L'boulvard, 2015

Sinon, ici il y a beaucoup de sujets qui me révoltent mais je ne ferai pas un film à chaque fois autrement ce mois-ci seulement j’en aurais réalisés 3 dont un sur Much Loved. En revanche le film que je rêve de réaliser, que ce soit un documentaire ou de la fiction, serait sur mon père pour retracer sa vie et comprendre ce qu’il a vécu, parce que finalement, j’ignore beaucoup de choses sur sa carrière. C’est le projet avec lequel je voulais commencer et comme c’est un projet très personnel, soit il ne sortira jamais soit il prendra vraiment beaucoup de temps. Sinon à court et moyen terme j’aimerais réaliser des documentaires musicaux.

Concernant la censure, j’estime qu’aujourd’hui avec internet on peut faire à peu près tout ce qu’on veut. On peut même prendre le risque de tourner sans autorisation, avec Hind qui a autoproduit son film c’était le cas, et son travail est également la preuve que n’importe quel sujet est traitable. En plus, je considère qu’il y a une communauté, de plus en plus de gens qui se mobilisent pour aider les jeunes à produire. Quand je dis que tout est désormais faisable je pense notamment au film My mekhzen and me de Nadir Bouhmouch. Après, il reste tout de même encore beaucoup de paperasse et pour la diffusion, les visas d’exploitation etcétéra, c’est autre chose. Pour ma part je tourne encore beaucoup sans autorisation, pour des petites capsules notamment, et je n’ai pas encore de carte professionnelle.

  • Aji-bi et la question de la condition des femmes sénégalaises à Casa te tenait à cœur. Quelle a été ta démarche auprès des femmes que tu as filmées ?Comment as-tu géré la barrière de la langue ?

Ca m’a pris beaucoup de temps, un an et demi au total. Ces femmes attirent beaucoup de curiosité, des journalistes viennent les filmer, elles ne savent pas ce qu’ils font de leurs images, et elles évoluent dans un environnement assez hostile. Elles étaient donc très méfiantes au début, je n’étais même pas sure de pouvoir les approcher un jour. Elles m’intriguaient et m’effrayaient à la fois. C’est donc avec beaucoup d’appréhension que je suis allée vers elles, je me faisais même insulter au début : j’étais la blanche qui était venue les filmer et aller vendre leurs images ailleurs. Du coup, j’ai dû laisser tomber mon équipe et y aller toute seule. J’ai rangé ma caméra, et les ai écoutées. Mais au bout de quelques semaines de travail et de rencontres avec elles, j’ai réussi à les mettre un peu plus à l’aise et les filmer.

Ces femmes-là n’ont pas été payées pour jouer leur propre rôle, c’est justement ce qui a pris énormément de temps en termes de repérage : trouver quelqu’un qui a envie de raconter son histoire. Parce que c’est un film qui est fait avec du cœur. Mon grand-père était noir, et je ne fais aucune différence entre ces personnes-là et moi-même, donc je cherchais réellement quelqu’un qui allait dans cet état d’esprit-là, et j’ai réussi à le trouver en Marème.

Ce qui m'a aidé également, c'est que j'ai fait le tour du Sénégal en voiture en 2011 dans le cadre d'une émission pour laquelle j'étais journaliste. Je suis passée par Dakar et suis allée jusqu’en Mauritanie, donc j’ai connu certaines petites villes d’où elles sont originaires. Sinon j’avais une traductrice au début, qui est retournée au Sénégal et m’a laissée seule avec les aji-bis pendant une période. Avec des mots simples en français, j’ai essayé de communiquer avec elles, jusqu’à ce que je rencontre un autre traducteur, qui m’a aidée pour la traduction du film.

Mais le wolof reste très difficile à filmer. On ne sait pas quand arrêter de filmer, quand prendre les plans de coupe…

  • Quelle place as-tu donné à l’écriture pour ce premier film ?

Ma co-productrice, Sarah Lamrini, m’a convaincu qu’il fallait faire tout un travail de recherche, d’écriture, que ce n’était pas interdit. Quand c’est un 1er film, on se pose beaucoup d’interdits, même dans son imaginaire. On se dit que c’est pas possible d’écrire une histoire sans savoir ce qu’on va trouver en réalité le jour où l’on va tourner, c’est très difficile de se projeter dans ce qu’on veut vraiment faire. Mais l’idée n’est pas d’essayer d’imaginer ou de savoir à l’avance ce que sera l’histoire exactement, c’est de savoir ce que l’on veut dire, ce que l’on veut filmer. Et la jeune productrice nous le confirme :

"Ce que j’ai essayé de faire dans cet accompagnement avec Raja, c’est de l’aider à trouver le film qu’elle avait envie de faire et ce qu’elle avait envie de dire avec un film. Pas simplement montrer aux gens comment vivent les immigrées subsahariennes ou des femmes sénégalaises, c’est vraiment raconter une histoire humaine à partir d’un sujet d’actualité."