Sarah Rahbar

Nos amis de Hype Ain’t Sh*t reviennent sur Lioumness avec un article inédit, l’interview exclusive de l’artiste iranienne Sara Rahbar. Rencontrée en septembre dernier à Berlin, pendant la foire d’art contemporain ABC : Art Berlin Contemporary où elle était représentée par Kourosh Nouri, de la Carbon 12 Gallery à Dubai, Sara revient sur sa relation à la terre, la douleur humaine, sa manie de coudre des objets sur ses toiles. Des oeuvres violentes et des débris de guerre, qui défient les dimensions et forcent le regard. Une conversation à quatre, menée par Nabil Nadifi et Cécile Martin.

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J’ai toujours voulu délivrer un art coup de poing !

  • C: tu vis à New York, tu es née en Iran, est-ce-que cela influence ton travail d’une quelconque façon ?

Je suis née en Iran mais je suis partie quand j’avais 5 ans. Aujourd’hui cela fait 32 ans que je vis à New York, mais pour être tout à fait honnête, je n’ai pas l’impression d’avoir un “chez moi”, je suis juste…quelque part, à un instant donné. Je n’ai jamais ressenti un quelconque attachement, ces endroits influencent juste mon travail parce que j’y vis. Enfin, je veux dire que si je devais passer les 30 prochaines années au Mexique, je suis sure que ça finirait aussi par influencer mes oeuvres.

  • C: Plus tôt, Kourosh nous parlait de la dimension universelle de ton art. Parce qu’il parle de la guerre, ton art touche en effet tout le monde et semble porter un lourd message politique. Pourquoi ce sujet ?

Quand j’étais petite, j’avais vraiment envie de faire de la politique et de sauver le monde, mais maintenant en grandissant, je me rends compte à quel point c’est de la connerie. Je ne m’intéresse plus à la politique, mais plutôt à la souffrance, qui est une chose humaine. Il ne s’agit pas vraiment de guerre mais plutôt de violence, et je me sens vraiment concernée. Je digère tout ce que j’observe autour de moi.

  • N: C’est vrai que la souffrance et la violence parlent à tout le monde et que beaucoup se sentent donc concernés par ton art. Comment perçois-tu l’accueil enthousiaste de ton travail à travers le monde ?

Mon travail est accueilli avec enthousiasme partout dans le monde (rires) ? C’est une bonne nouvelle, je n’en avais aucune idée (rires) ! Tout ce à quoi je pense c’est…je dois le faire. Je ne pense jamais à rien d’autre. Bien sûr c’est formidable que les gens reconnaissent mon art, parce que c’est une façon de se mettre à nu et de délivrer tout ce qu’on a en soi. Mais ce que je veux dire, c’est que c’est en étant honnête qu’on obtient la réceptivité des gens. Ils constatent alors que c’est vrai, puisqu’ils le voient aussi.

  • C: Ton art est singulier, très tridimensionnel. Pourquoi avoir choisi de mettre des vrais objets sur tes toiles ?

Tu sais, quand j’ai commencé, je peignais, simplement, juste en couleurs. Et puis ça m’a vite paru trop plat. Donc j’ai commencé à y coller des photos, des dessins, des écrits, pour donner de la texture à mes toiles. Mais c’était toujours trop plat. Et j’adore les objets, les tissus, les matériaux, je les collectionne depuis toujours, mais je ne savais pas comment rassembler ces deux passions. Et en y arrivant finalement, j’ai senti que mon travail était enfin complet. Mais il manquait encore les titres. J’ai toujours écrit séparément, et puis j’ai réalisé que la poésie n’avait pas forcément besoin d’être sur mes oeuvres mais qu’elle pouvait inspirer mes titres! C’était une révélation ! Pourquoi ça m’a pris autant de temps? C’était comme donner naissance à un processus de réalisation parfait. Le prochain sera la sculpture. Les objets sont trop lourds maintenant, je ne peux plus les coudre, ils déchirent mes toiles ! (rires) 

  • C: Ok, on commence vraiment à comprendre ce que tu insinuais quand tu parlais du manque de relief de tes premiers travaux ! 

N’est-ce-pas ? J’ai toujours eu cet avis sur le relief. J’ai dû en faire près de 200 des peintures “plates” et ça ne fonctionnait vraiment pas pour moi, donc là, je commence à m’en débarrasser. Même si j’admire des grands peintres comme Francis Bacon ou Lucien Freud par exemple, je n’ai jamais voulu faire “ça”, j’ai toujours eu besoin de faire autre chose.