Ismaël El Iraki

Né au Maroc en 1983, Ismaël El Iraki est diplômé de la prestigieuse école La Fémis en réalisation. Le cinéma pour lui est un artisanat, un métier quasi manuel, où il part d'une matière organique : des éblouissements, des obsessions et des vertiges, pour produire des imaginaires nouveaux, figer des mirages.

Ses premiers courts-métrages s’inspirent du mouvement « Nayda », et L’Emir, son premier long-métrage, a été écrit après une longue immersion dans le milieu de cannabis du Nord du Maroc. Passionné de musique, Ismaël El Iraki fonde à Paris une société de captation de concerts. Le 13 novembre 2015, il se retrouve au coeur de l’horreur la plus absolue. Dans son chemin vers sa reconstruction, Ismaël écrit le scénario de Zanka Contact, un océan et un incendie.

Présenté pour la première fois le 5 Septembre dernier en sélection officielle de la 77ème édition de la Mostra de Venise, le film a reçu un accueil chaleureux de la part de critique, couronné par le prix de la meilleure actrice Orizzonti décerné à Khansa Batma.

Nous avons posé quelques questions à Ismaël pour en savoir plus sur son parcours, son film et sa vision du cinéma aujourd’hui. Voici ce qui est ressorti de notre échange.

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“Le désir de ce film a avancé en moi comme un feu de forêt, en se nourrissant de tout ce qui était sur son chemin : les rues de Casablanca, ma ville natale, le rock des Variations, le western de Leone, le fusil de chasse de Lilian Gish dans La Nuit du chasseur, la gouaille d’Anna Magnani dans Mama Roma, les bios de Lou Reed ou de Keith Richards... Mais aussi le soleil noir de la drogue et la terre rouge sang du Grand Sud marocain.”


- Comment t'es tu retrouvé dans le cinéma ? Quel est ton parcours ?

Enfant j’étais fasciné par les artisans, je rêvais d’être un maalem. Je suis devenu cinéaste car je pense que c’est une forme de métier d’artisanat. C’est fabriquer des choses en équipe. Ma chance a été d’intégrer la parfaite école de tamaalmit, la Femis à Paris, en section réalisation. Une école focalisée sur le faire, où j’ai pu enchaîner les court-métrages et beaucoup me planter. 


- Qu'est ce que cela suppose d'être un réalisateur marocain aujourd'hui, et par extension un réalisateur dit du "monde arabe" ?

Cela suppose de devoir se battre. Se battre pour obtenir les financements et l’attention du public, bien sûr, mais aussi et surtout se battre contre ce que l’on attend de vous, contre la case dans laquelle on vous enferme en tant que « cinéaste arabe » ou « cinéaste africain » . Se battre pour la liberté de raconter ce qu’on veut, pas juste ce qui nous est permis. Il faut être un rêveur, comme tous les cinéastes. Mais il faut aussi être un combattant. Ça tombe bien : les rêveurs font les meilleurs combattants. 

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Synopsis

Dans un Casablanca déjanté, la passion brûlante de Larsen le rocker et de Rajae l’Amazone des rues met le feu à un Maroc inattendu peuplé de Calamity Janes berbères, de concerts de métal, de serpents venimeux et de flics tortionnaires. Un trauma enfoui commun les rapproche : le rock n’roll les unit, la voix d’or de Rajae et la guitare en peau de serpent de Larsen. Peut- être leur seul espoir réside-t-il dans une chanson, celle qu’ils rêvent et écrivent à deux : Zanka Contact.


- Que veut dire sortir un film en 2020 ? 

Le covid a provoqué un événement jamais vu avec la fermeture des salles à travers le monde : même pendant les guerres mondiales les cinémas restaient ouverts ! Donc je ne cesse de penser à toutes les réalisatrices et les réalisateurs qui ont comme moi sorti leur premier film cette année. On bosse des années avec toute notre équipe et quand enfin le bébé est prêt à être montré au monde, c’est impossible... 

Je peux difficilement parler au nom de tous, car nous avons eu une chance folle avec Zanka Contact. Nous avons eu dans cette année morte la chance miraculeuse non seulement que grâce au courage du président Alberto Barbera, le plus grand événement cinématographique de l’année, la Mostra de Venise, soit maintenue en physique, mais en plus d’y être sélectionnés en sélection officielle, et pour couronner le tout de gagner un prix ! Du délire. Un miracle. J’ai eu le sentiment de partager une expérience très étrange, presque un rêve, avec mes amis réalisatrices qui etaient sélectionnées cette année, Kaouthar ben Hania ou Azra Deniz Okyay. On a tous et toutes traversé des moments pendant le confinement ou on se disait : c’est mort. Que va devenir notre film ? Et ce festival, cet espoir. C’est fou. 


“Zanka Contact n’est pas un film mais un incendie.”

Ismaël El Iraki


- De part ton histoire personnelle, on sent l'urgence de créer, de raconter des histoires. En quoi ton film est-il une affirmation de la vie, une affirmation totale ?

Je ne sais pas si on peut parler d’affirmation de la vie. Ce n’est pas quelque chose de conscient : c'est simplement que Zanka Contact est un film fabriqué avec tout ce que je suis. Je disais: ce n’est pas un film, c’est un incendie. Ça se nourrit de tout ce que j'ai en moi. C’est à dire qu’il y a dedans tout ce que j’aime : mes amis acteurs que j’aime et que j’admire et pour lesquels j'ai écrit leurs rôles : Khansa, Said Bey, Mourad Zaoui, Abderrahmane Oubihem... les lieux de Casa que j’aime, la scène metal du Boulevard de mon adolescence, mes groupes et chansons préférés de Nass El Ghiwane à Kadavar, des Variations (groupe rock marocain des années 70) à Silver Mount Zion, mon ami de lycée Alexandre Tartiere qui a composé toute la musique originale, la maison de ma grand mère et même la voix de ma maman qui chante Oum Khalsoum... Mais il y a donc aussi toutes les parts sombres. J’ai aussi fabriqué le film en y mettant mes cauchemars, mes hallucinations, ma culpabilité de survivant de l’attentat du Bataclan à Paris du 13 Novembre 2015. En mêlant les deux pour exprimer que nos parts sombres ne sont pas sans issue, et qu’on peut se donner de la lumière les uns les autres pour sortir de ces tunnels. 


“Il ne le sait peut être pas, mais Tarantino

est Casaoui !”

Ismaël El Iraki



- Dans "Zanka Contact" tu dépeins un Casablanca fantasmé, qui s'inspire de la réalité de la ville mais aussi de sa dimension cinématique, peux-tu nous en parler ? 

Comme tous les Casaouis, j’adore et je déteste Casa en même temps. On a une relation passionnelle avec cette ville, avec sa culture, avec ce qu’elle produit en nous : elle nous force à être sur le qui vive, à être intenses, vivants. Elle est belle et laide en même temps, avec sa magnifique lumière qui naît de ses défauts, de sa pollution. Quel casaoui n’a jamais pesté contre les embouteillages et en même temps pris une photo de coucher de soleil sur la ville depuis l’intérieur de sa bagnole ou du taxi ? Casa nous force à l’admirer. Surtout pour moi qui devait rentrer à Rabat la semaine et regarder Casa de loin jusqu’au week-end prochain. Alors quand j’ai découvert Quentin Tarantino au cinéma Lynx, le mélange d’argot de la rue et de poésie urbaine, cette possibilité toujours latente dans toute conversation  soit du rire soit de la violence, j’ai reconnu direct cette ambiance et ces personnages : c’était les mecs de mon quartier ! 

Il ne le sait peut être pas, mais Tarantino est Casaoui !

- La critique positive et le prix décerné à Khansa Batma à la Mostra de Venise annoncent une belle histoire pour le film, comment le vis-tu ? 

Comme tout le reste : je ne le vis pas seul. Ce film on l’a fabriqué en groupe, en équipe. On a rêvé ensemble, bossé ensemble, souffert ensemble malheureusement aussi. Ça a été un tournage et une post prod dingue, un vrai Apocalypse Now. Et ça a créé une famille. Les acteurs bien sur mais chacune et chacun des membres de l’équipe, de notre maman à tous Bahija Lyoubi à notre assistant caméra Anas Rachid, qui s’est ouvert la main en ouvrant le dernier paquet de pellicule livre in extremis du port alors qu’il restait 10m dans la caméra, et qui est carrément revenu sur le tournage après être allé se faire recoudre à l’hôpital, vous ne pouvez pas imaginer ce que les gens ont donné sur ce film !! C’est pour ça que la victoire de Khansa à Venise, elle a voulu la partager avec toute l’équipe, en utilisant notre cri de ralliement : ZANKA CONTACT TEAM. C’est quelque chose qu’on ressent tous je pense : on a fait ce film ensemble et maintenant on partage les retombées positives, c’est la victoire d’une équipe. Et moi comme réalisateur je suis infiniment reconnaissant, au festival bien sûr mais d’abord et à jamais à mon équipe.  

- Quels sont tes projets futurs ?

Avec le Temps suspendu du confinement j’ai eu le temps de commencer d’autres projets Cinéma ...on nous a beaucoup dit que Zanka Contact était surprenant, inattendu pour un film marocain. Un OVNI. Ce que je peux en dire c’est que si Zanka Contact est surprenant, le prochain sur lequel je travaille est carrément quelque chose de jamais vu !