Un été dans la médina de Fès avec Carmelo Tedeschi

Fès fait partie de ces villes au charme certain, qui semble s’offrir volontiers aux personnes de passage. Son air sec et dense qui vous enveloppe, ses ruelles qui résistent à l’orientation et son atmosphère mystique, en font une ville particulière, un art poétique à part entière. Mais quiconque a grandi dans une ville intérieure, sans ouverture sur la mer ou sur un commencement, a connu la mélancolie des longs dimanches et des étés caniculaires, une morosité autrement plus vraie cette année pour les habitants de la médina de Fès.

L’été 2020 a été pour beaucoup de villes touristiques du Royaume un été de désolation. Les médinas désertées par les visiteurs, éteintes, dont l’agitation habituelle qu’on pensait faire partie des murs ne semblait plus être qu’un vieux souvenir. Un été long et morne pour les habitants de la médina, et particulièrement pour ses enfants, traversé par quelques joies arrachées au monde. Carmelo Tedeschi, designer italien installé dans la médina de Fès depuis plusieurs années, nous raconte cet été particulier.

Des grandes maisons de mode aux ateliers de Fès

Connu comme le créateur d'accessoires très remarqué pour le designer conceptuel Martin Margiela, Carmelo Tedeschi a développé une approche inventive d'un matériau peu utilisé dans l'art contemporain : le cuir. Ses sculptures autoportantes combinant la sphère et le plan permettent de créer des objets uniques. Fabriqués avec du cuir non traité, ces objets abstraits tentent de représenter non pas l'extérieur mais l'essence des choses. La matière organique y est sculptée uniquement avec des techniques artisanales, pour retrouver un rapport immédiat à la matière. Son travail a été exposé entre autres au Museo di Santa Giulia de Brescia, et parmi la collection d'art Daimler à Berlin. L’une de ses sculptures a été exposée et a servi de modèle pour l'escalier miroir de l'architecte prix Pritzker Christian de Portzamparc pour la boutique Dior de Peter Marino à Séoul.

Daimler contemporary, Berlin

Daimler contemporary, Berlin

Exposition Christian Louboutin - Miami. Credits : BFA NYC

Exposition Christian Louboutin - Miami. Credits : BFA NYC


“As a designer we should be thankful to people who help us make our ideas”

Carmelo Tedeschi


Sa passion du cuir l’a mené à Fès, ville des tanneries, il y a plusieurs années de cela et il n’en est jamais reparti. Pour Carmelo, Fès est une ville qui n’est pas appréciée à sa juste valeur. Elle ne jouit pas de la hype de Marrakech par exemple, mais est certainement plus authentique et vraie que la première. Beaucoup de jeunes travaillent toujours dans l’artisanat à Fès, et sont dans un rapport plus sain à la création, avec peu de compétition, et une passion sincère pour perpétuer les techniques ancestrales.

En tant que designer il se sent la responsabilité de travailler avec ces artisans de manière consciente et équitable, puisque ce sont eux qui permettent à ses idées de voir le jour. Sa boutique dans la médina de Fès lui a permis de se faire une place parmi tout ce petit monde, où il se sent désormais l’un des leurs. Venant de Sicile, il se sent très proche de Fès et de sa médina. Il y retrouve le goût de son enfance, une émotion proche, et le souvenir d’un passé commun. “Quand on vit dans le pays des autres, il suffit de respecter les gens pour être respecté” nous confie-t-il. S’inscrire dans une démarche de design à Fès a du sens pour Carmelo, surtout quand il s’agit de le faire avec une forte conscience sociale, loin de la production de masse, et avec une valorisation de l’artisan. La proximité avec tous les villages alentour lui permet de découvrir d’autres techniques et de nourrir sa création. Pour lui, la créativité vient d’abord du travail, et retrouver des techniques quasi médiévales de traitement du cuir lui a permis de revenir à un rapport essentiel à la matière.

Rien qu’une glace italienne ne puisse résoudre !

Après plusieurs semaines de confinement, Carmelo a observé les enfants de la médina qui ont souffert de l’isolement et du manque de divertissement. Il a eu l’idée de transformer sa petite boutique en Gelateria le temps d’un été. Des glaces à base de produits naturels, bios et sans sucre, à un prix symbolique pour offrir des plaisirs simples aux petits et aux grands enfants. Pour Carmelo, l’intransigeance sur la qualité est une conviction profonde, puisque pour lui la santé ne doit pas être un sujet de riches. Son pot de glace à 1 dhs c’était avant tout pour lui une réponse spontanée à une situation sur laquelle il ne pouvait pas complètement agir. Beaucoup de choses à Fès sont pensées pour les touristes mais rien n’est fait pour les locaux selon lui, c’est pour cela qu’il a voulu rétablir cette injustice le temps d’une glace. “Dans une période de crise, si l’on peut faire quelque chose il faut le faire” nous dit-il, et sa petite échoppe de glace éphémère était sa manière à lui d’agir, de résister, et d’offrir des joies simples.


“In fact here things are done for tourists and nothing for locals.”

Carmelo Tedeschi


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Repeindre la médina, UN PROJET SALVATeur

Après le confinement, la médina était triste, comme vidée de son âme. La municipalité a donné un peu d’argent aux habitants pour repeindre les murs à la chaux, une émulation collective est alors née, où tout le monde mettait la main à la pâte ; pour peindre, réparer, nettoyer. Le besoin de se retrouver et de faire des choses ensemble a installé un enthousiasme simple, quasi enfantin. Les enfants demandaient à Carmelo de les aider à dessiner des toiles sur les murs, et tout le monde s’est retrouvé dans ce projet salvateur, pour réparer la médina, et se réparer un peu soi-même.


“The future is already here : the soul of the people” 

Carmelo Tedeschi


La solidarité dans la médina n’est pas un mythe pour Carmelo, puisque “même le plus criminel de ses habitants aidera une vieille femme à porter ses courses.” Pendant ramadan, tout le monde pensait à lui qui était seul chez lui, et lui apportait à manger. Son atelier dans la médina, c’est plus qu’une démarche de création, c’est une vision du monde un peu rock’n’roll, à rebours des enjeux de la mode aujourd'hui, une manière pour lui de retrouver le sens originel de son métier. Pour lui être à Fès, c’est même très contemporain comme conviction et parti-pris, quelque chose qui sort des logiques marchandes associées à son métier, et qui s’inscrit dans une démarche de construction, d’un projet, d’un chemin. Aujourd'hui plus que jamais, nous payons l’échec de notre civilisation selon lui, c’est pour cela qu’il croit au retour à une certaine localité, à la solidarité, à l’échange et à la résistance par l’art.

Crédit Photo : Meriam Ghandi

Crédit Photo : Meriam Ghandi

Crédit Photo : Meriam Ghandi

Crédit Photo : Meriam Ghandi