Communication et médiation en temps de crise

La pandémie de Covid-19 a mis en avant aujourd’hui plus que jamais le besoin d’une information fiable, responsable, et accessible à tous. Jamais notre interdépendance n’aura été autant révélée, et très vite l’enjeu de communication et de médiation s’est imposé comme primordial pour que chacun prenne conscience du rôle qu’il a à jouer dans cette crise. D’autant que, dans un pays où l’analphabétisme reste très présent et où la presse a de moins en moins d’impact, trouver des relais de communication, crédibles et à fort impact est devenu le nerf de la guerre.

Dans un tel contexte, certains créateurs de contenus et influenceurs se sont avérés être des partenaires de choix pour les institutions et les organisations, produisant des dizaines de vidéos d’explication et de vulgarisation, avec l’objectif de communiquer de façon efficace, accessible et “incarnée” .

Nous avons discuté avec nos amis du studio créatif Artcoustic qui ont fait partie des créateurs de contenu les plus prolifiques de cette période. Avec Mustapha Swinga, l’un des fondateurs du studio et figure de proue de la médiation en ligne au Maroc avec son concept Aji-Tfham, ils ont participé à vulgariser la pandémie et ses effets sociaux durant des mois. Voici ce qui est ressorti de nos échanges.


Entre exigence et vulgarisation, les enjeux de la communication en temps de crise

Produire du contenu informatif en temps de crise suppose de combler le vide en information pertinente et de qualité pour répondre aux différentes interrogations des citoyens voire même, les anticiper. Essayer de mettre de l’ordre dans le trop plein d’informations disponibles sur internet et les différents ratés des communications officielles n’était pas une mince affaire. D’une part la rigueur scientifique imposait de s’assurer des sources et de se tenir au courant des dernières actualités pour rester pertinents et prudents, tout en veillant à ne pas véhiculer de Fake News, plus même, à les déconstruire. D'autre part, la période particulièrement anxiogène, invitait à adopter un ton bienveillant et empathique, proche, tout en restant sérieux.


“POUR FAIRE DE LA SENSIBILISATION, il est très important aujourd’hui d’avoir conscience que le discours vertical ne fonctionne pas. il faut préférer un discours horizontal qui n’infantilise pas les citoyen-ne-s.”

Intissar Jbiha - Directrice des Opérations et de la Production d’Artcoustic


Des dizaines de vidéos ont été produites, et renouvelées quotidiennement à la télé comme sur internet, pour inclure les nouvelles données ou préconisations, et continuer d’informer. Une nouvelle forme de communication est née, où une certaine horizontalité était de mise même dans le discours institutionnel, afin de favoriser l’adhésion et de désamorcer les résistances.“Aujourd'hui, il apparaît de plus en plus que le digital a réussi à imposer à la TV de le suivre sur la liberté de ton qu'on s’y permet" affirme Intissar Jbiha, directrice des Opérations et de la Production d’Artcoustic. Allier exigence et accessibilité n’est plus considéré comme impossible aujourd'hui puisqu’il s’agit d’abord et avant tout de considérer le destinataire de tout contenu avec responsabilité, sérieux, et empathie.

LA Réhabilitation de la Darija dans la communication officielle

La Darija a été naturellement privilégiée durant cette période, mais elle a aussi connu un changement de ton. Une sorte de “décomplexion” nécessaire qui lui a permis de parler juste et de parler vrai. Enrichie par des termes techniques et scientifiques expliqués au fur et à mesure, nous avons même assisté à des JT télévisuels qui ont basculé par moment en darija “ لتعميم المنفعة” (généraliser l’impact positif), et des vidéos sur le ton humoristique pour parler de sujets plus graves en prime time.

En effet, le digital a été en cela précurseur, et c’était chose naturelle pour lui que de se saisir de tous ces sujets avec une liberté de ton et une forme de finesse et d’humour qui étaient à propos. On repense à toutes les vidéos produites par le studio et qui ont permis à beaucoup de monde d’accéder à des sujets complexes sans jamais que la langue ou le niveau académique ne soient des barrières. Les vidéos produites par Artcoustic sur le Bitcoin qui a dépassé le million de vues ou celle sur la Flexibilité du dirhams qui elle a atteint 3 millions de vues en sont des exemples éclatants.

 

Mustapha Swinga, Le mÉDIATEUR

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Une voix familière, un ton rassurant, des notes d’humour, et une authenticité qui séduit, Mustapha Swinga est très vite devenu le monsieur “vulgarisation” du web marocain. Révélé par ses capsules “Aji Tfham”, il a réinventé les codes de la médiation dans le contexte marocain, et propose un contenu unique et incarné.

Avec une proximité qui favorise la compréhension et une forme de neutralité qui lui permet de ne jamais être clivant, il a réussi là où beaucoup ont pensé qu’il était impossible de parler à “tout le monde”.

Aujourd’hui, lui et l’équipe d’Artcoustic sont consultés en tant que spécialistes des capsules didactiques et consultants pédagogiques. Avec exigence et sens de la responsabilité, ils sont suffisamment respectés aujourd’hui pour être entendus et sensibiliser leurs clients et partenaires sur des enjeux parfois négligés, comme le discours inclusif, la parité, en ayant comme priorité le besoin de communiquer de façon responsable... Leur exigence les pousse également à veiller à chaque détail dans le contenu qu’ils produisent : l’environnement familier, les subtilités culturelles, le choix des mots etc… afin de toujours se placer au plus près des codes de compréhension du destinataire, et d’identifier les verrous de son adhésion.

Aujourd'hui l’essentiel de la communication des institutions et des marques passe par le digital. Il ne faut rien y prendre à la légère puisque le moindre faux pas peut avoir des conséquences irréversibles. De même, la plupart des institutions ont compris que l’enjeu de médiation devenait primordial pour elles, puisqu’elles devaient sortir de leur aversion naturelle pour la communication et déconstruire un certain nombre d’idées reçues sur leur vocation et leur action.

“ Il n'y a pas si longtemps les institutions étaient soit silencieuses, soit utilisaient la langue de bois. Aujourd'hui les enjeux de la communication et de la vulgarisation de l'information sont pris en considération. Je ne perds pas espoir qu'un jour on puisse voir s'appliquer de façon généralisée le droit d'accès à l'information." déclare Intissar Jbiha. En temps de crise, cette accélération dans la communication a fait beaucoup de bien à certains discours institutionnels qui se sont surpris à adopter un ton nouveau, parfois émotionnel, drôle, proche et impliqué. La réception par les internautes et la modération par la suite de ces contenus sur internet montraient également, nous confiait Intissar, que plus on prenait le temps d’expliquer et de permettre aux gens d’accéder à l’information, “moins on observait de réactions négatives et de frustrations, et plus on habituait les citoyen-ne-s à se sentir concerné-e-s, pris au sérieux, et à chercher à en savoir plus !”.