May in the Summer, chronique des ressentiments silencieux par Cherien Dabis
Présenté à Sundance en 2013, May in the Summer sort enfin en DVD. Deuxième long métrage de Chérien Dabis, réalistrice américano-palestinienne à qui l’on doit notamment Amreeka, primé à Cannes, Dubaï et au Caire, ce portrait de femme(s) mêle subtilement et sublimement l’intime à l’universel.
Auteure jordano-palestienne à succès exilée à New York, May est de retour à Amman le temps d’un été, pour finaliser l’organisation de son mariage. La trentaine assurée, belle et intelligente, elle s’apprête à épouser l’homme de sa vie et tout semble lui réussir. Ces retrouvailles sonnent pourtant l’heure du bilan et se font le miroir de son identité complexe. Entre confrontations avec une mère évangéliste rigoriste (la magistrale Hiam Abbas) qui s’oppose fermement à son union avec un musulman, rivalités avec des sœurs rebelles, Dalia (l’hilarante Alia Shawkat) et Yasmine (Nadine Maalouf), qui cherchent à se positionner, et réconciliations avec un père remarié absent qui essaie de se racheter : May questionne ses choix et interroge son héritage sur fond de divorce douloureux et de ressentiments silencieux.
« Dans cette famille, les non-dits détruisent tout le monde d’une certaine matière » - Cherien Dabis
Jusque là, le film aurait tout de la romcom US un peu mièvre : la grande sœur prodige qui rentre se marier en famille, le choix d’un fiancé qui dérange, les secrets de famille qui s’étalent et surtout, un cadre presque anecdotique. C’est pourtant ici que repose tout le charme du film : rien de vraiment bouleversant, mais une justesse et une fluidité narrative étonnantes. Les dialogues rythmés et délicieusement incisifs rendent les personnages à la fois crédibles, drôles et attachants. On croit à leurs histoires, on sourit à leurs maladresses, et on partage leurs souffrances. Bill Pullman est touchant en père indigne face à une Hiam Abbas sublime dans son austérité de mère rigide et de femme blessée. Dans le rôle principal, Cherien Dabis livre une performance saisissante par sa retenue quasi olympienne et pleine de grâce, surprenant mélange entre le charme et l’intensité de la libanaise Nadine Labaki - avec qui la ressemblance physique est d’ailleurs flagrante – et la sobriété et l’élégance de Rebecca Hall.
Avec cette comédie identitaire sur fond autobiographique, Dabis questionne sa double culture avec humour et humanisme, de façon plus personnelle que dans son premier long métrage. Là où Amreeka présentait une famille palestinienne à l'épreuve du nouveau départ aux Etats-Unis, May in the summer fait le chemin inverse, celui où les retrouvailles sont aussi des déchirures, et clôt ainsi le diptyque narratif. Loin des clichés et pathos, elle nous fait découvrir la Jordanie moderne dans le quotidien d’une famille. On y découvre Amman comme on ne l’a jamais vue, entre poésie urbaine et paysages lunaires, à couper le souffle !
Mais si la réalisatrice traite des problématiques contemporaines et universelles comme l’amour, la relation à la mère, la sexualité, l’abandon, les emballements du cœur, ou les petits mouchoirs de famille, elle n’en oublie pas pour autant de suggérer le contexte à coups de subtils décalages, que ce soit un footing en short qui dérange ou un vol d’avion de chasse au dessus d’un resort hotelier dans la mer morte, le tout entre deux titres du groupe rock libanais Mashrou Leila. A la façon d’Hiam Abbas avec sa casquette de réalisatrice dans Héritage, le contexte reste présent en toile de fond, mais n’est pas le propos. Toute la force du film est là : en s’affranchissant du politique, il dépeint une autre réalité, loin de celle véhiculée par les médias occidentaux, et porte un message d’autant plus fort de tolérance et de réconciliation. Son ambition ?
« Montrer qui nous sommes (arabes) en tant que personnes, sans tout l’aspect politique » - Cherien Dabis