Mehdi Ait El Mallali

Nous avons découvert le travail de Mehdi Ait El Mallali il y a quelques années dans nos infinite scrolls sur Instagram et avons été touché par son univers à la fois énigmatique et plein de poésie. Nous nous sommes rencontrés quelque temps après pour évoquer son parcours de photographe autodidacte de El Hajeb à Paris, mais aussi pour parler plus généralement d’éveil culturel et de l’inégalité territoriale de la culture.

Son travail a été montré de nombreuses fois pour des expositions collectives notamment à l’Uzine et au Musée National de la Photographie de Rabat, mais également à Essaouira pour les Nuits Photographiques en 2019. En Octobre 2022, Mehdi a édité son premier zine qu’il a intitulé Blur, un projet expérimental qui explore le quotidien à travers la vitre brumeuse d’un arrêt de bus. L’occasion de capturer les lumières fluctuantes et les atmosphères évanescentes au fil du jour, et d’esquisser un éloge subtil et intime de l'anonymat dans les grandes métropoles.

Nous avons posé quelques questions à Mehdi pour en savoir plus sur lui et son parcours. Découvrez ses réponses ici, c’est notre Ness Lioum du jour.

Qui es-tu est quelle est ton histoire ?

Mehdi, né en 1997 et vécu à El Hajeb, une petite ville au porte du Moyen Atlas. Mon parcours est assez classique. Après mon bac j’ai opté pour des études de commerce qui ont fini par un master à Paris, où je vis actuellement. La passion de la photo ou l’art visuel généralement est née pendant mon parcours universitaire. Mon intérêt pour l’art a surgi pendant quand j’ai voulu trouver une passion pour remplir mes heures perdues. J’ai découvert le cinéma et la musique en parallèle, deux mondes qui m’inspirent et qui orientent ma démarche de création photographique pour le moment. J'essaye de m'intéresser à traduire mes ressentis et vécus en histoires visuelles. Photographier mon quotidien et les choses qui m'intéressent forment mon travail de photographe.

Quel était ton rapport à l’art et À la culture plus jeune ?

J’avais peu de contact avec l’art ou la culture pendant mon enfance. Les seules références que j’avais étaient celles diffusées sur l'écran télé du salon de mes parents. Mais le fait de grandir dans une génération qui avait plus au moins accès à internet, était important pour nourrir mon intérêt pour la culture, surtout après mes 15 ans quand j’ai commencé à me pencher sur le monde de la photo et des artistes de loin sans avoir l’idée de me plonger dedans un jour. Avoir accès à une infinité de ressources (par exemple le cinéma et mon intérêt pour le cinéma d’auteur en particulier) a compensé le manque que j’ai ressenti pendant mon enfance dans une ville où la culture est presque inexistante.

Comment penses-tu être devenu artiste ?

Être artiste pour moi c’est un état d’esprit et un mode de vie. Même si l’art représente une partie majeure de ma vie, soit en mode de consommation ou de création. Je me considère pour le moment comme un expérimentateur visuel, j’essaie d’avoir un lien intime et honnête entre mes sentiments et l’esprit que je veux dégager dans mes créations. Peut être que le fait d’avoir le désir ou la passion de traduire mes propres ressentis à travers un biais “artistique” peut expliquer pourquoi je peut être considéré artiste. Mais ce n'était pas un choix de ma part, mais plutôt un déroulement naturel des choses qui interviennent dans ma vie et provoquent ma curiosité.

Comment cela a t-il changé ton rapport au monde ?

Une des choses qui peuvent remonter à mon esprit maintenant, c’est que le simple fait d’exister est devenu pour moi un moyen de nourrir mon travail, j’essaye de voir comment le déroulement des événements de ma vie alimentent ce que je veux créer, tout en restant fidèle à mes émotions. S’inspirer de mes artistes/penseurs préférés ainsi que de s’inspirer des gens qui m’entourent est le moyen pour moi d'arriver à relater une histoire à ma manière.

EST-CE QUE TA PRATIQUE ARTISTIQUE A CRÉÉ UNE DISTANCE AVEC TON MILIEU D’ORIGINE ?

Je ne vois pas une distance s’installer, vu que mon environnement d’origine représente mon identité qui est un élément important de ma pâte créative. Mais peut être que ça a créé un lien différent, un regard externe, vu que je vis loin de ma ville natale depuis 2015 pour mes études universitaires. Un regard externe qui me laisse apprécier ou critiquer. Certes, il reste primordial pour moi d’y retourner et de garder contact car cela représente une sorte de recharge émotionnelle et affective.

QUELLE EST TA VISION AUJOURD’HUI DE LA TRANSMISSION ET DU PARTAGE ?

Au Maroc, je pense que la transmission culturelle n’est guère pas en compte, surtout dans les petites villes ( hors axe Casa Rabat Marrakech ) où la culture est toujours considérée comme un élément facultatif, ce qui provoque d'énormes inégalités de chances, l’accès à l’information et au monde culturel reste negligeable, ce qui explique l’absence d'initiatives culturelles ou de mouvements artistiques dans le pays. La transmission reste limitée à certaines populations précises. Je pense que la démocratisation de la culture est un enjeu important afin de garantir un minimum d’initiatives artistiques qui seront fidèles à notre identité tout en se détachant (à un certain niveau) des influences et interprétations occidentales.

QU’EST CE QUE L’ART A CHANGÉ DANS TA VIE ?

Je pense que c’est ma sensibilité différente aux choses qui m’entourent et ma vision modifiée qui me permettent d’interroger le monde, tout en m’offrant la possibilité d'expérimentation dans mon processus créatif.

M'intéresser à l’art et à la pensée humaine, comment les choses évoluent ou se transforment, être curieux de savoir et de découvrir, sont des éléments que l’art a pu m’apporter comme changement dans ma vie. Le fait de m'intéresser au cinéma au lieu de m'intéresser à d'autres disciplines me provoque du plaisir, peut être parce que je me projette dans le travail des artistes qui me parlent et dans leurs démarches artistiques.