Nissae, conte philosophique de la féminité

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Il y a quelques temps, on vous présentait Zahra Sebti, graphiste, DA, et artiste multimédia installée entre Rabat et Casa. Se définissant elle-même comme une néo-féministe, elle fait de la quête identitaire et de la condition de la femme ses principaux sujets de réflexion.

Dans une interview exclusive, elle nous présente son dernier projet : «Nissae », véritable conte symbolique et contemplatif qui, mis en vidéo, explore la condition de la femme et apporte une nouvelle vision au féminisme, plus introspective et moins revendicative.

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  • Comment t’es venue l’idée de ce projet ?

Nissae c’est un projet qui est né de l’envie de CharlotteCornation (vidéaste et céramiste) et moi de parler de la féminité, d’un nouveau féminisme, qui ne se définit pas par rapport à l’homme mais simplement par rapport à la femme. Il s’agissait de faire une sorte d’introspection, d’auto-portrait féminin et de ne plus se définir par opposition à l’homme. La référence n’est plus extérieure mais intérieure.

  • Nissae est une histoire de cycle, de rituels, comme un voyage initiatique au cœur de la féminité. Peux-tu nous en dire plus sur la vision et la démarche ?

La vie d’une femme est beaucoup plus ritualisée que celle d’un homme, les règles, les fiançailles, le mariage… La femme est placée au centre de chacun de ces grands moments où on accorde beaucoup plus d’importance à ses tenues, à ses costumes, à son apparence à elle, surtout dans notre culture. Dépossédée, elle se retrouve objectifiée, reste dans une vitrine, et finalement appartient au groupe. Nissae s’inscrit donc dans une démarche anthropologique et psychologique où il est question d’aborder la vie de la femme, de la naissance à la mort, selon 7 grandes étapes initiatiques, symboles de la féminité :

1/ Ma condition je suis une fille : petite fille, je me tresse les cheveux.

2/ Mon sexe je suis une femme : je mets du rouge pour symboliser la puberté, indiquer que je suis prête à me marier.

3/ Ma création je suis une maison : je ne suis pas une maison parce que j’enfante, mais je suis une maison par essence, composée de mon savoir, de mes névroses, de tout ce que je suis.

4/ Ma destruction je suis une araignée : en référence au travail de Louise Bourgeois.

5/ Mon désir je suis plaisir : il n’est pas question du plaisir sexuel, il s’agit justement de sortir du jeu de séduction pour se rapprocher du simple plaisir de prendre soin de soi, pour soi.

6/ Mon savoir je suis pensée : hurler dans le vide, ne pas être entendue ni reconnue.

7/ Mon tout je suis vide : signe une fin assez pessimiste avec un SOS et la lumière qui s’éteint.

  • Dans Nissae on retrouve un peu le genre « road trip » de Totem 66 (NDLR : projet vidéo tourné aux Etats-Unis et primé au Festival Chaumont du graphisme). Qu’est ce qui te plait dans ce format ?

Le road trip permet d’aller à la rencontre de l’image plutôt que de la provoquer. C’est un format plus de reportage que de mise en scène. Pour Nissae, nous sommes parties pour 10 jours de tournage pendant lesquels on a fait Casa-Marrakech-Asni-Tizintichka-Ouarzazate-Tinghir-Merzouga-Errachidiya-Meknes-Fes-Rabat à la recherche des lieux de rituels. C’est sublime mais véritablement épuisant. La kasbah en ruine qu’on voit dans « je suis une maison » m’a particulièrement touchée. Son choix est d’autant plus pertinent qu’elle symbolise l’échec du patriarcat patrimonial. Des héritiers se la disputent, et pendant ce temps c’est de la culture vivante qui se perd.

  • Nissae est un projet complet et global : vidéo, photo, arts plastiques, poésie mais aussi musique. Parle-nous du processus de création de la bande son originale.

La bande originale de Nissae est le fruit d’un long processus de recherche et de création collective, on a passé 8 mois sur la construction d’une mélodie qui a été improvisée en visionnant la vidéo. Donc il y a à la fois beaucoup de travail engagé par nos 7 musiciens (violon, saxophone, percussions, luth, batterie, trompette), menés par Hamza Bennani Smires, trompettiste, mais aussi un aspect très spontané et déconstruit. L’enregistrement s’est fait face aux images, sans partitions. De la même façon qu’on est allé à la rencontre des images, on est allé à la rencontre de ce son, épuré, intemporel, mais néanmoins très empreint de la marocanité du projet. C’est un subtil mélange de trompettes et percussions d’inspiration jazz classique, et de références à différentes cultures, certaines traditionnelles, d’autres résolument contemporaines. Il y a aussi des imperfections très intéressantes dans la mélodie, et quelque part, elles font écho aux prises de vues, qui se veulent aussi imparfaites. Nissae dans son ensemble est un projet très vif, qui est sorti de nous-mêmes pour évoluer par lui-même ; une sorte de vomi salutaire qui nous a offert à Charlotte et moi une grosse catharsis dans un contexte où on en avait extrêmement besoin. Concernant les textes par exemple, ils n’étaient pas écrits à l’avance, c’est au moment du visionnage des rushs que très émue, j’ai voulu écrire cette poésie qui explique toute l’histoire.