Vintage Arab, le podcast sur l'histoire des migrations à travers la musique

Vintage Arab, c’est le podcast à écouter pour se laisser raconter l’histoire de la rencontre entre Fairuz et Chahine, l’épopée de Nass El Ghiwane, les tribulations de Cheb Hasni ou encore celles de Cheikha Rimiti.

Hajar Ben Boubaker est franco-tunisienne. Elle a poursuivi des études en histoire et sociologie politique, et aborde la musique arabe d'un point de vue socio-historique et pas seulement musicologique. Elle souhaite, à travers Vintage Arab, apporter un regard nouveau sur les musiques arabes pour les sortir de la catégorie de « musiques du monde » et de leur interprétation orientaliste, et les inscrire dans leur contexte de lutte politique et sociale.

Nous avons posé quelques questions à Hajar pour en savoir plus sur son parcours et sur les motivations derrière la création de son podcast Vintage Arab, voici ses réponses.


  • Qui es-tu ? Quelle est ton histoire ?

    Je m'appelle Hajer Ben Boubaker et je suis une chercheuse et documentariste radiophonique. Je suis née à Paris au sein d'une famille tunisienne. J'ai un parcours universitaire axé sur deux disciplines : l'histoire et la sociologie politique. Je travaille particulièrement sur les musiques arabes et l'histoire de l'immigration maghrébine en France par le prisme de la musique et des mobilisations politiques à travers du contenu écrit et surtout à travers le support sonore. Je collabore avec France Culture et j'ai développé mon propre podcast indépendant autour des musiques arabes il y a trois ans. Il m'arrive aussi de travailler avec des institutions pour des évènements culturels comme avec l'IMA autour de l'exposition "Divas arabes" et plus récemment avec la Bibliothèque nationale de France pour un travail axé recherche.

  • Pourquoi tu as démarré ces podcasts ?

    J'ai lancé Vintage en 2018 parce que ça me permettait de travailler sur deux choses que j'apprécie : le sonore et l'oralité et les musiques arabes. Au départ, le projet existait sous forme de blog que je diffusais auprès de mes ami.e.s mais cela ne me satisfait pas. Nous ne sommes pas toustes aussi à l'aise avec la lecture et surtout il me semblait important de faire écouter autrement que par un lien youtube. Par ailleurs, je n'étais pas satisfaite de la manière dont étaient présentées ces musiques en France et je souhaitais apporter mon point de vue, ma subjectivité mais aussi, de les aborder avec une perspective socio-historique. C'est comme ça que j'ai lancé le premier épisode qui était destiné à mon réseau perso. Il s'avère qu'il a pu toucher d'autres personnes, et évolué au fil du temps, et c'est très bien même si ça me surprend toujours. J'ai commencé en tant que novice et amateure, et ça s'entend dans les premiers épisodes ! Je ne connaissais rien du montage. Mais j'ai beaucoup appris autant d'un point de vue technique que d'un point de vue de la construction d'un récit. Cette évolution a été possible grâce à toutes les belles rencontres que j'ai faites grâce au podcast.

  • Pourquoi ce format podcast ? Un rapport avec l'oralité dans la culture arabe/amazighe ?

    J'écoute beaucoup la radio depuis toujours. C'était, et c'est toujours, un objet phare du foyer familial. J'ai un rapport intime à la transmission orale qui, en effet, trouve sans doutes sa source dans l'oralité arabe et plus particulièrement celle de ma région d'origine, qui a beaucoup développé une poésie écrite qui aura son importance dans l'histoire nationale, et même au delà puisque c'est la région du grand poète arabe Aboukacem El Chebbi. Mais il existe une manière locale de la déclamer à l'oral, qui la rend accessible publiquement à des formes d'assemblées, une manière de l'utiliser dans son quotidien et plus gloablement un certain art de raconter les histoires, de prendre la parole publique. Je suis loin de faire la même chose dans mes podcasts mais ça a construit mon rapport à l'oralité. Ensuite il me semble que j'ai en commun, avec beaucoup d'enfants de l'immigration, d'avoir eu accès à l'histoire de notre communauté par la transmission orale que ce soit une transmission rendue possible par nos parents, par d'anciens militants des luttes, par des rencontres par hasard. Je trouve que ce format offre des avantages qu'il n'y a pas à l'écrit et ce même si j'aime aussi beaucoup écrire.

  • Lesquels as-tu eu le plus plaisir à faire ?

    C'est une bonne question ! C'est pas toujours évident d'en faire, car je doute beaucoup, ce qui allonge le temps de conception. Pour dire vrai je ne les réecoute jamais après les avoir postés. Mais à bien y réflechir, je pense que j'ai une affection pour les deux épisodes de la série Barbès Blues intitulés "L'hommage à Mokhtar" et "Mokhtar, prends ta valise". Je crois que j'ai souvent mis de l'intime dans mes podcasts, en témoigne celui sur l'exil tunisien, mais ces deux épisodes font écho à beaucoup de choses pour moi. Je les ai dédié à Mokhtar Bachiri, ouvrier marocain installé en France, qui a participé à de nombreuses luttes pour l'égalité et la justice dans les 70 et 80.

  • Pourquoi la jeune génération née dans les pays "arabes" ou issue de l'immigration nourrit-elle de plus en plus cette nostalgie d'un temps arabe qu'elle n'a pas connu ?

    Je ne saurais pas répondre pour tout le monde mais je pense que les deux situations ne sont pas les mêmes. Dans les pays arabes, l'accès à ses musiques, à leur compréhension est plus simple car ce sont les espaces d'évolution de ces musiques. Suffit de sortir dans la rue et de passer dans un café pour entendre tel ou tel chanteur de l'ancienne génération. En France, ce n'est pas le cas, ou que dans des endroits très précis et circonscrits et notamment la sphère de l'intime, de la cellule familiale. Ce qu'il y a en commun, c'est sans doute, de penser ou d'avoir pensé que c'est "la musique des parents". L'intérêt des enfants d'immigrés nés, souvent, aussi de vacances dans le pays d'origine et d'une volonté d'en savoir plus sur le texte/l'interprète/ le genre musical. Il y a une appropriation de leur patrimoine qui s'opère de façon variable selon les jeunes. Du coup, je ne sais pas si c'est de la nostalgie ou de l'intérêt musical. Pour ma part, j'ai été élevée dans une famille où ces musiques avaient une grande place. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été fan, au point d'écouter principalement ces musiques et du rap français, depuis très tôt. Mais je ne pense pas qu'il s'agisse de nostalgie parce que pour moi elle faisait partie du temps présent grâce à l'écoute régulière, pas du passé. Je pense que c'est l'écoute qui fait vivre une musique. Je ne suis pas trop dans un discours nostalgique d'une époque que je n'ai pas connue. Je trouve plus intéressant de voir ce que ça a apporté aux musiques d'aujourd'hui, à l'industrie de la scène et du spectacle, les ruptures et les continuités. Je dirais que je m'inscris plus dans une démarche de mémoire que de nostalgie.

  • Parle-nous du documentaire que tu as fait pour France Culture, sur Taos Amrouche, d'où t'est venue l'idée ? Comment s'est passée la recherche et l'écriture ?

    Cette idée est d'abord venue par le biais d'écriture de Taos Amrouche. Je connaissais d'ailleurs assez mal son répertoire musical à part quelques titres et je ne suis pas experte de la musique amazighophone. Par contre, j'ai développé un fort intérêt pour la littérature féminine maghrébine. Cela remonte à ma rencontre avec l'oeuvre d'Assia Djebar quand j'étais étudiante. J'ai commencé à lire des autrices de langue française et de langue arabe et je suis tombée sur Taos Amrouche. J'ai pu me plonger dans l'œuvre par l'intermédiaire du travail de la chercheuse Akila Kizzi qui a dispensé un cours sur les écrivaines francophones maghrébines à l'université Paris 8. J'étais à la fois fascinée par le parcours global de la famille Amrouche et surtout par la manière de Taos de prendre la parole, d'exister au monde. Cela m'a ramené à sa musique. Je trouvais intéressant d'explorer la partie musicale car, si je n'ai pas d'expertise sur la musique amazighone notamment celle produite au Maghreb, je connais par contre bien le parcours de nombreuses chanteuses de l'immigration qui sont kabyles. Or, elle avait un parcours artistique tout à fait différent. J'ai trouvé que son parcours méritait un documentaire, méconnu par rapport à celui de son frère Jean. J'avais eu envie de l'écrire avec un axe qui mettrait au centre son lien à l'Algérie. Au fil des rencontres avec les intervenants, le sujet s'est affiné et est devenu ce qu'il est.